Fanfiction StarCraft II

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Shadows Over Lammendam

Par Darn

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

- Vidéo...port ...méro deux, prem... alinéa,... Lieut...nant... Hé ! ... ? C'est incr...yable ça ! Alice ! Le ...uc fous litté...lement le camp ! Tu p... venir ...oir ?

- ... ouche à rien, Ash, tu f... n'imp... oilà... ça reviens on dirait... Qu'est-ce que t'as encore tripoté ?

- Moi ? Rien. Du moins, pas encore...

- Laissez vos mains là où elles étaient, Lieutenant, et enregistrez votre rapport !

- A vos ordres, mon Capitaine... Donc... Vidéorapport numéro deux, premier alinéa, du Lieutenant Jackson « Ash » Mac Callaghan. Système Spatial B1, planète : Terre. Et j'ai oublié les coordonnées de latitude et de longitude. Nous avons atterri en zone franche dans l'ex-Protectorat des Etats Unis d'Europe a +09:26, la quasi-absence de lumière est, comme on nous l'avait dit, assez oppressante. La température ambiante est de 168.9 degrés Celsius, le ciel est noir... ou violet... les deux. Les orages sont continus, la pluie est retenue par la strato-couche solide de particules stagnantes en lévitation au dessus de la surface, mais elle y pénètre par endroits, ce qui donne de drôles de cascades de liquide mauve-verdâtre tombant du « ciel », mais qui, bien entendu, s'évapore bien avant de toucher le sol. On nous a pas mal parlé de la « planète bleue » d'où on est originaires. On nous a déjà envoyé sur des mondes pas reluisants. Mais me dire que mes ancêtres ont vécu sur cette espèce de poubelle à la dérive, ça fiche une sacrée angoisse. Enfin, voilà ce que j'appellerais sans hyperbole un « monde-cimetière ». Nous sommes ici, mon équipe et moi, à la recherche d'un Centre Technique du Directoire de la Fédération Terrienne, qui à été victime de l'effondrement de la planète. Nous avons survolé hier la faille dans laquelle nous supposons qu'il ait été aspiré. D'après les relevés que... merci, Bishop... qu'on vient de me donner, ledit ravin à une largeur variable dont la fourchette est de onze à trente deux kilomètres sur une longueur de neuf cent soixante seize - toujours en kilomètres - et profond de cent dix huit kilomètres sur la majorité de sa longueur totale. Ça nous laisse un peu de suspens quant à l'exploration. D'autant plus qu'on ne sait pas s'il n'a pas été tout simplement réduit en poussière pendant l'affaissement. Nous avons établi la base aujourd'hui a -01:06, à quelques minutes du gouffre. Il n'y a autour de nous pour ainsi dire qu'une vaste et plane terre rougeâtre qui s'étends de nos pieds à tous les horizons, sans trace aucune d'une quelconque civilisation. C'est dommage, j'aurai bien pris le temps de visiter deux ou trois vestiges. Il paraît qu'à Néo Paris, on peut encore voir la majorité du Doran Routhe Building et du LPU Central Business District. Je ramènerais quelques holo-clichés. Bon allez, fini pour aujourd'hui.

Mac Callaghan se leva et fit craquer ses articulations avant d'éteindre l'unité de vidéoconférence de bord. L'engin se remit à crépiter frénétiquement en refusant d'obtempérer. L'écran semblait à nouveau pris de convulsions oscillatoires. Le Lieutenant perdit patience et martelait désormais l'interrupteur d'alimentation. La lumière de l'unité de bord se figea instantanément en reflétant la silhouette de quelqu'un se tenant immobile dans le dos du soldat. Ash se retourna :

- Oui ?

Personne. Callaghan haussa un sourcil et vérifia l'écran. Il était désormais éteint. Il n'avait pourtant pas rêvé... si ? Une odeur de café... Jackson se saisit de sa tasse pour en humer le contenu. Il y avait suffisamment de marc là-dedans pour y lire l'avenir. L'air absent, il sortit de la pièce pour rejoindre son équipe. De la poche de son treillis il extirpa une troupe. L'épais cigare du combattant du Dominion. Farfouillant sa veste à la recherche de son Zippo d'argent, il bouscula Bishop.

- Cette manie de me marcher sur les pieds... J'ai laissé le rapport de relevés sur le bousin, si c'est ce que tu veux. 'Foutu briquouze, il est passé où... ?

Le Caporal Bishop ramassa le feu tombé à terre.

- Tenez, mon Lieutenant. J'ai fait deux-trois p'tites recherches supplémentaires sur le secteur. Et devinez quoi ? Ben y a rien. Du style... que dalle. J'trouve ça que moyennement logique de paumer un Technolab à ce point là. Quand c'était encore vivable y avait que misère de trucs, ici. J'pense qu'on à dû s'planter de patelin...

- Quand tu seras payé pour penser, Shop, je serais à la retraite depuis des plombes. Merci, concluait le Lieutenant Ash en agitant le briquet au lithium sous les mirettes du Caporal.

Il porta le tabac à incandescence après avoir dispensé une claque amicale sur l'épaule de son subordonné. Jackson rejoignit d'un pas trainant le cockpit du Héraclès. Le sas du gros porteur de classe Hercule s'ouvrit dans le son caractéristique de la mécanique sous pression. Mac Callaghan s'avança en se baissant légèrement dans cette végétation luxuriante de systèmes de guidage, de consoles et de clignotants incessants qu'est le poste de pilotage. Il contempla un long instant la planète terre qui s'étendait à perte de vue derrière le plastovitrage du cockpit.

- Y a pas à dire... C'est un foutu cimetière, ce cailloux, lâcha le Lieutenant qui croyait partager un moment de solitude à ce moment précis.

Son attention fut attirée par de fines jambes féminines croisées, reposant nonchalamment sur les tableaux de bord. Allongée dans le siège du pilote, la demoiselle tournait le dos à Jackson. De là où il se tenait, Ash se délectait de tout l'érotisme de la scène sans piper mot, un léger sourire étirant son visage. De douces courbes, l'élégance de ces chevilles, et quelles cuisses...

- Et quelles cuisses...

- Je vous demande pardon, Lieutenant ?

- Capitaine. Je constatais que vous n'avez pas besoin d'assistance pour revêtir votre combinaison. Déjà prête ?

Le fauteuil pivota lentement sur son axe, découvrant Alice, la silhouette féline dans sa Combinaison Environnement Hostile, parcourue par intermittence de signaux lumineux d'un vert très pur, se dessinant dans les veines énergétiques du vêtement. Callaghan avait pour avis sur ce type d'armure justaucorps qu'elle convenait moins à l'arsenal Terran qu'à celui destiné à certaines catégories de corps à corps. La Capitaine procédait machinalement au réglage de son Unité d'Assistance Visuelle.

- Il semblerait, en effet. Aussi apparaît-il qu'on ne puisse pas en dire autant de tout le monde, n'est-ce pas ?

Alice affichait un très joli sourire charmeur qui avait le don de faire briller le regard de Callaghan.

- Mes deux MSAO n'ont pas terminé l'installation du Réacteur CMC. Ils y travaillent. Cependant, je n'ai jamais entendu dire que les soldats du Projet Fantôme passaient leur brevet de Pilote...

L'ironie du Lieutenant Mac Callaghan n'avait pas le même impact selon l'interlocuteur. C'était une mauvaise habitude qu'il savait qu'il fallait qu'il perde. Mais pour des raisons qui leurs étaient personnelles à l'un comme à l'autre, tout deux se prenaient au jeu avec un grand sérieux.

Ce qui expliquera la réaction provocante du Capitaine, qu'attendait Ash avec grande impatience. La demoiselle décroisa les jambes avec une infinie lenteur, et se releva de même, dans une attitude très suggestive. Le creux de ses reins et leur chute, la sensualité de cette nuque, la générosité de cette poitrine. Callaghan le savait. Les filles Fantômes sont mieux... équipées. Alice s'approcha de Jackson, doucement. Délicatement, elle lui saisît le cigare -oui oui, celui dont nous discutions plus tôt - le porta à sa propre bouche, et tira deux longues taffes. Lentement, elle laissa l'épaisse fumée glisser entre l'interstice de ses lèvres, consciente qu'elle offrait à la scène un charme supplémentaire. La semi obscurité et l'étroitesse de l'espace finissait d'habiller le théâtre de leurs roucoulades. D'un doigt sur le torse, la demoiselle fit reculer le soldat jusqu'à ce qu'il chût dans le fauteuil du copilote.

- Lieutenant, vous seriez étonné de constater mes aptitudes quant à la manipulation du manche...

- Chérie, impressionnez-moi...
Sans vraiment qu'on lui demande pour quelles raisons l'accès au cockpit de l'Héraclès avait été verrouillé durant un bon moment, le Lieutenant Callaghan rejoignit son équipage l'air satisfait. Ash était perdu dans ses pensées. En réalité il se demandait si cette fille était une véritable connaisseuse du système masculin ou si, par hasard, sa condition de Fantôme intervenait à chaque fois qu'ils se payaient une bonne tranche de jambes en l'air. Chaque fois, Alice lui réapprenait les plaisirs qu'une femme puisse offrir. Mac Callaghan se frustrait de ne pas savoir si c'était une question de savoir-faire ou si son Capitaine lui titillait les connexions synaptiques à grand coups de facultés psioniques. La voix tonitruante du Sergent-chef Wyatt Araya empêcha Callaghan de tirer une conclusion satisfaisante de cette réflexion primordiale.

- Le zingue à enfiler les costards est prêt, mon Lieutenant ! C'est quand vous voulez, on à fini de vous les repasser, éructait Wyatt, crachant à chaque consonne un morceau de sa chique.

Le Mécanicien en Système d'Armement Opérationnel était atteint d'au moins tous les troubles de l'audition connus à ce jour. Sa surdité quasi-totale venait de son manque considérable d'attention et de précision. En effet il oubliait constamment ses protections lors de son travail de mécano, et il était tellement mauvais quant au tir cadencé des fusils C-14 Gauss qu'on l'avait retiré du service des Marines pour le transférer en section Maraudeur. Les quelques 175 décibels déployés lors de l'impact des Grenades Punition eurent tôt fait d'avoir raison de son ouïe déjà déplorable. Le pot qu'il avait à la place des tympans lui avait tout de même valu une promotion inattendue. On avait en effet jugé préférable qu'il soit supérieur à son coéquipier, le Sergent Piotr Varszwadraszczya Leszczynski - communément appelé « Bob » au sein de l'équipe, mais nous vous laissons le plaisir de deviner par vous-même l'obscure provenance de son sobriquet - car ce dernier en fondît tôt une durite d'hurler quatre à cinq fois les mêmes ordres toute les minutes, avec moins d'effet que s'il avait demandé à une brique de nager.

Mac Callaghan lui montra qu'il l'avait entendu en levant les pouces des deux mains et en se dirigeant vers le sas du Réacteur, en lui indiquant d'un geste circulaire de mettre en route la machine.

- Allez, Marines ! On va faire un peu de spéléologie sur ce morceau de carbone, alors enfilez vos liquettes, et je veux voir du mouvement !

La douce voix d'Alice, le timbre rendu électronique par les ampliphones de l'Héraclès, résonna dans les couloirs, indiquant aux membres du personnel combattant de s'équiper en prévision de leur future sortie. Ash sourît à cette annonce qu'il attendait avant chaque opération. La massive porte pressurisée du Réacteur se refermait derrière les pas de Callaghan, et avant que les trois immenses loquets ne s'emboîtent, Araya salua son Lieutenant d'un garde-à-vous symbolisant les cornes de la Bête. Le Lieutenant Jackson se dirigea pressement vers la plate-forme centrale de la cellule d'équipement, s'identifia sur la console de contrôle, et engagea le processus. Les solerets de son Armure de Combat CMC 400 sortirent de la plate-forme, et Callaghan les enfila pieds nus, les verrouillant de la même manière. Il leva les bras pour attraper les poignées de sécurité vers lesquels la plate-forme le soulevait. Tout autour de lui, les automates de montage s'affolèrent d'un coup. Les bras mécaniques d'assemblage du châssis de plastron et du vertébro-dorsal assisté se rejoignirent, pour emprisonner le tronc de Callaghan. Ainsi débutait la séquence d'armurerie. Sur les exosquelettes vinrent se fixer les plates de blindage, couche après couche, grèves, genouillères assistées, cuissard, panse, cubitières, brassards, gantelets mécaniques, épaulières, pack d'alimentation sur-dorsal.

Un sacré 31 d'une paire de tonnes en feuilles blindées d'acier, bardé des pieds à la tête. Le modèle d'Armure CMC 400 est entièrement assistée, absolument hermétique, pressurisée, climatisée, authentifiée Nucléaire/Bactériologique/Chimique, spatio-opérationnelle, accélératrice de conditions physiques. Le treillis de l'espace. C'était le moins que puissent faire les concepteurs en armement spatial Terran.

Callaghan effectua quelques mouvements pour faire fonctionner la mécanique, avant de se diriger d'un lourd pas résonnant vers les râteliers de la section armurerie. Son équipe finissait de subir le même traitement avant de le rejoindre dans les soutes de l'Hercule. Alice les y attendait déjà, naturellement. Jackson empoigna l'énorme distributeur de pralines qui servait d'armement conventionnel à tous les Marines du récent Dominion. Le classique fusil C-14 Gauss avait été conçu pour fonctionner de paire avec l'Armure CMC des Marines, en cela il n'était guère manipulable par des bras humains. Un pavé rectangulaire de plusieurs dizaines de kilos, ne serais-ce qu'à vide, était tout sauf maniable sans armure mécanisée. Si en plus on y engageait son chargeur de 66 cartouches de calibre .50, et qu'on pressait la détente, l'engin vous expédierait une rafale courte de six balles sans crier gare, et son recul vous serait aussi fatal que si vous vous teniez au même instant en face du canon.

Ash rejoignit Alice, la toisant de haut comme il aimait le faire dès qu'il gagnait des centimètres grâce à son armure. Il se permit un petit sourire satisfait pendant que son Capitaine levait les yeux au ciel. Bishop les rejoignit rapidement, trimbalant une poignée de chargeurs supplémentaires.

- Tu comptes cramer beaucoup de bastos, Shop ? Si ce que je pense est correct, on devrait même pas avoir à sortir nos flingues, alors range ça, maintenant.

- Et si jamais y a des Zergs ? D'quoi on aura l'air à leur j'ter des cailloux, hein ?

- Si y a des Zergs et à supposer qu'on en revienne si c'était le cas, je veux bien que tu échanges ton grade avec celui de Sanchez.

- Héhéhé, tenu !

Le Caporal Bishop claqua la main que lui tendait Mac Callaghan. Victoria Sanchez, la petite dernière de l'équipe de Jackson, s'empressa de rejoindre son supérieur, entendant appeler son nom.

- Mon Lieutenant ? demanda-t-elle au garde-à-vous.

- Repos. Seconde Classe Sanchez, rappelez-moi de vous promouvoir au grade de Caporal, si nous croisons ne serait-ce qu'un embryon de larve Zerg pendant cette mission. Remerciez Bishop pour ce traitement de faveur.

L'intéressé sembla seulement émerger, l'air hébété :

- Hé mais... attendez, bafouilla-t-il, ce qui rendit le Lieutenant hilare.

Il se retourna vers la troupe et ordonna l'ouverture de l'accès aux soutes de l'Héraclès, effectuant le signe de ralliement. Les soldats se rangèrent en deux groupes distincts, chacun composés de trois Marines, deux Maraudeurs et un Médic. Le groupe de Jackson, Alpha 701, comptait Alice en plus.

- Lock'n Load, Marines, on est partis, et je veux pas que ça traîne. Sous-lieutenant Mikhaïl Tank, vous prenez le commandement des Alpha 501. Embarquez avec May Day sur le Red Cross. Alpha 701, avec moi. On grimpe avec Liberty sur le Gold Eagle. On se retrouve au point de ralliement à +02.30. Semper fi !

La troupe reprit le salut en coeur, et rejoignirent les Médivacs au pas de course. Les deux vaisseaux de Transport Assistance et Evacuation G-226 quittèrent les soutes de largage du Hercule avec leur équipage à bord. Red Cross vira au nord, et Gold Eagle à l'est, rejoignant les extrémités de l'immense et sombre gouffre.
Les secousses devenaient de plus en plus insupportables. Dans la soute du Médivac, les Marines de Jackson se cramponnaient aux harnais de sécurité en proférant un paquet de jurons qui devenaient, à la longue, vraiment justifiés. La tôle du G-226 vibrait dans un son continu que même l'herméticité des armures CMC n'atténuait guère. Chacun serrait les mâchoires à s'en rayer les dents en essayant de se caler convenablement dans les sièges. Les vibrations se faisaient de plus en plus insupportables. Le vaisseau eut une série de ratés qui fit remuer les hommes dans leurs armures. Il y eut un grondement terrible dehors, suivi d'un choc brutal sur la carlingue et d'un dévissé de plusieurs centaines de mètres. Des gerbes d'étincelles jaillirent dans la soute et aspergèrent abondamment les soldats du Groupe de Combat Alpha 701. Des arcs d'électricité parcoururent les parois avant de se disperser dans le sol. Le Caporal Astartés ouvrit la fréquence générale de son Communication Link, ce qui, lors d'un vol en Médivac, est normalement interdit, pour y beugler ses appréhensions :

- Putain de chierie de bordel de merde, est-ce qu'on est en train de s'écraser ?!

Mac Callaghan rejoignit la fréquence, passant outre lui aussi des consignes de base :

- Si c'est le cas on devrait pas tarder à le savoir, Caporal ! Gardez la tête froide et les miches bien serrées ! Et coupez votre Com. Link !

Ce faisant, Jackson rejoignit la fréquence sécurisée à l'attention de la cabine du Gold Eagle.

- Bon sang, Liberty, je vous ai connue meilleure pilote !

- Sans vouloir être grossière, Lieutenant, si vous voulez le putain de palonnier, je vous le laisse, merde, le rassura-t-elle d'une voix au timbre positif.

- Vous faites bien de me prévenir... C'est bien parce que je vous dois déjà deux fois la vie !

- Et en toute modestie, je pourrais bien être en train de vous la sauver une troisième fois, en ce moment ! On fera rien de correct en continuant à cette altitude, les orages sont bien trop violents !

- Sans déconner ?

Je vous avais parlé de l'ironie de Mac Callaghan, pas vrai, hein ?

- Ecoutez, commença-t-elle, perdant patience.

- Je rigolais, ma petite Liberty, je vous fais confiance, sortez nos culs de ce foutoir !

Un vertige naquit dans les ventres remués des soldats d'Alpha 701. Ash jeta un oeil à son compensateur de pression. A ses maigres connaissances d'aéronautique, et au vu de l'inclinaison subite des éléments libres de la soute, il jugea qu'ils devaient être en train de descendre en piqué... ou presque. Quelques instants passèrent aussi lentement que s'il s'était agi d'heures entières. Jackson vit la sueur de son front perler contre la visière fermée de son armure. Le vaisseau était à la verticale. C'état désormais une certitude. Il pâlit de manière significative quand le gyrophare d'alarme baigna la soute dans un rouge sombre qui était trop souvent la dernière chose qu'il était donné de voir à bord d'un Médivac. Le son strident et cadencé de l'altimètre retentit. La vitesse du bip accélérait en fonction de la proximité du niveau zéro. Callaghan comptait les paliers sans pouvoir s'en empêcher. A cette vitesse, Ash s'attendait à un fondu sur écran noir dans les prochains centièmes de seconde.

Puis, brusquement, le gyrophare stoppa net, et l'altimètre avec lui. Ce qui ne rassura pas Jackson, c'est que malgré tout, ils descendaient toujours... En dessous du niveau zéro ? Ash remarqua qu'il hurlait, sa gorge le lançait. Il reprit son souffle. Il y avait une flaque sur sa visière. Il émit sur le canal d'Alpha 701 :

- On est morts ?

Ce fut la voix d'Alice, d'un calme réconfortant, qui lui répondit.

- Liberty nous fait descendre dans le gouffre. On va six pieds sous terre, mais on y va vivants.

- Merde, j'avais oublié, ça. Et moi qui flippe. Bordel j'y ai quand même bien cru.

Le Gold Eagle se redressa progressivement, pour finalement regagner une pesanteur, une inclinaison et une vitesse normale. La voix du Sergent Liberty résonna alors dans la soute :

- Et voilà, Lieutenant Callaghan. Trois vies à zéro. J'espère que vous m'offrirez un verre, tout à l'heure.

Tout l'équipage s'autorisa à rire, il y eut des sifflements et des applaudissements. La flaque de buée avait glissé de la visière pour aller tremper le torse du Lieutenant qui riait lui aussi de la situation. Se sentir proche de ses hommes avait toujours été l'une de ses plus grandes fiertés. Aussi faisait-il en sorte de la conserver. Inutile de préciser à quel point la suite du vol parut calme et confortable. Ils arrivèrent rapidement aux coordonnées qu'ils avaient fixé au préalable, à quelques soixante deux kilomètres sous le niveau de la surface, à la quasi extrémité est du ravin. Ils entamaient leur approche de la distance de largage quand ils reçurent une communication de mauvaise qualité de la part du Red Cross :

« ... coup de chance. Venons de découvrir la structure. Objectif presque intact. Entamons procédure de récupération. Attendons votre équipe aux coordonnées ci-jointes pour débuter excavation. Tank, terminé. »

Alice secoua la tête.

- C'est très fort, ça. On a fait toute cette virée à l'extrême opposé. Tu parles d'un coup de chance. Liberty, il nous faut un coup de gaz aux nouvelles coordonnées. Au moins, on n'aura pas à beaucoup se fouler.

La pilote laissa échapper un souffle d'exaspération avant d'entamer la manoeuvre de demi-tour, accompagné d'un ponctuel « Tout de suite, mon Capitaine ».

- Capitaine, je sais qu'on en a déjà parlé mais... maintenant qu'on a notre objectif, vous pouvez nous dire de quoi il retourne, précisément ?

- Callaghan, nous n'y sommes pas encore, et non, je ne peux pas en parler à qui que ce soit qui ne soit pas habilité. Et vu que je suis ici la seule à l'être, la discussion est vite réglée. On ne fait pas le travail de travers, avec la Section Psi. Les détails de cette mission ne concernent en aucun cas le Corps des Marines.

- Bon sang, c'est quand même le Corps des Marines qui se coltine le boulot de récup' ingrat, alors c'est drôlement gonflé qu'on ne soit pas tenus au jus ! Pourquoi la Section Psi n'envoie pas ses Fantômes faire le job, s'il est si « confidentiel » ?

- Elle n'a pas suffisamment d'agents à éparpiller aux quatre coins de l'espace pour se le permettre, et c'était la dernière question concernant cette mission à laquelle je répondais.

- J'aurais essayé.

Les vols trop tranquilles paraissent indéniablement beaucoup plus longs que ceux qui sont trop mouvementés, et les voyages trop agités se terminent beaucoup plus rapidement - et beaucoup plus brutalement -que ceux qui sont trop calmes, aussi est-il bon de trouver le juste milieu. Le G-226 « Gold Eagle » progressait rapidement dans le canyon, dont les parois se rapprochaient au fur et à mesure qu'ils montaient au nord. A moyenne distance du « sol », à tellement de kilomètres de la surface, les ténèbres régnaient en maître dans cet environnement sous-terrain. Liberty se laissait guider par les capteurs de proximité et le sonar de son vaisseau, les projecteurs n'étant pas amplement puissants pour couvrir un périmètre convenable de sécurité. Un rehaussement soudain du sol apparaîtrait trop tard à la lumière des spots pour être convenablement esquivé. La prudence était de mise, dans l'abîme sans fin dans lequel ils s'enfonçaient inexorablement.

- Nous approchons, messieurs. Nous arriverons d'ici une cinquantaine de minutes. Merci d'avoir choisi notre compagnie pour ce vol que nous avons été heureux de passer avec vous. Prière de ne pas laisser d'éventuels déchets traîner dans les soutes. Veuillez conserver votre harnais de sécurité jusqu' la stabilisation complète de l'appareil. Nous vous rappelons que l'utilisation des fusils Gauss est interdite dans tout compartiment du Médivac. Merci et bonne journée.

L'annonce du Sergent Liberty se conclut sur une petite musique ridicule, classique aux réseaux de transport civil à Korhal.

- Bordel, c'est pas tr...

Les haut-parleurs du Gold Eagle grésillèrent. La musique coupa, et une autre vint la remplacer, puis les deux se superposèrent, et le rendu était assez dissonant. C'était un morceau de piano, mais dont la qualité d'enregistrement était anormalement mauvaise. Les parasites reprirent, et une troisième bande sonore se dissocia des deux autres. Elle diffusait un brouhaha incompréhensible, avec de vagues voix humaines parlant en arrière plan. Au début, l'équipage pensait qu'il s'agissait d'une erreur ou d'une blague auditive. Mais la voix de Liberty leur affirma qu'elle n'était pas à l'origine de ce phénomène, et que tous les instruments de bord étaient victimes d'interférences. L'alarme se déclencha sans raisons apparente, et les projecteurs se mirent à clignoter frénétiquement. Le son des ampliphones augmenta de manière insensée, et diffusaient à présent des cris et des lamentations, des hurlements prononcés dans une langue qu'aucun à bord ne reconnut. Puis, soudainement, le silence. Le Médivac chuta librement, ses moteurs coupés instantanément. Le noir total s'installa dans les soutes, les soldats enfermés dans les cercueils d'acier qu'étaient devenues leurs armures, inexplicablement privées d'énergie, inertes. Callaghan ne pouvait plus bouger, son corps littéralement coincé dans ses membres d'acier. Il voulut crier, mais la fermeture hermétique de sa visière empêchait tout son de sortir de l'habitacle.

Rapidement, l'inactivité du système de recyclage d'oxygène pesa sur les poumons du Lieutenant. Même les batteries de l'unité de survie étaient mortes. Le silence. Le silence et la raréfaction de l'oxygène. Et le noir. L'inertie alentour. Le vide. La peur du néant.
Tout ce qui suivit se passa très vite. Tous les systèmes se remirent en marche les uns après les autres, démarrant les séquences de réinitialisation du matériel. Dans le cockpit, Liberty criait à l'attention de ses ordinateurs de bord de court-circuiter le reboot du système. Les moteurs mirent du temps à se rallumer. Les holo-phares du Médivac s'illuminèrent d'un coup éclairant la paroi rocheuse vers laquelle ils plongeaient sans ralentir. Le visage de la jeune pilote se crispa d'effroi avant l'impact qui devait arriver dans la prochaine seconde. Elle eut le temps d'entendre le vrombissement des moteurs s'activant... et ce fut le choc.

Mac Callaghan se réveilla en sursaut. Un cauchemar ? D'une commande mentale, le rétro éclairage de son Armure de Combat s'activa, et sa visière glissa pour s'ouvrir. Assurément non, tout ceci avait été bien réel. Il lui fallu plusieurs secondes pour se rendre compte de la situation dans laquelle ils étaient. Sa vision était saccadée. Des images floues revenaient dans un sens étrange que son cerveau n'arrivait pas à remettre dans le bon ordre. Encore ce rêve ? Cet accident lors d'une mission, il y a bien longtemps, sur terre... quand au juste ? Callaghan... Ouais, c'est mon nom... c'est ça... Callaghan ? On m'appelle ? Bon dieu, c'était quoi, ça ? Avait-il été inconscient ? Si je me réveille, j'arrête le whisky. Foutrerie, cette cuvée vingt trois ans d'âge de Mar Sara finirait par le tuer. Ou le café, peut être ? Les deux. Son corps tout entier était engourdi. Ses yeux lui faisaient endurer le martyr. Tenait-il sur ses pieds ? Son estomac entamait une révolution. Etait-il allongé ? Impossible. Etre allongé n'est jamais aussi désagréable. Callaghan se convainquit après analyse qu'il devait se tenir sur sa tête. Une overdose de stimulants, sûrement. Cette cochonnerie de cocktail militaire. Les effets secondaires étaient dévastateurs. Que racontait le manuel médical de cette aberration chimique ? Tremblements ? Hallucinations paranoïaques ? Détérioration cérébrale ? Et d'autres trucs encore plus joyeux... C'était ça. Un sacré kick. Bordel, c'était quoi, ça ? Et une petite perte de conscience.

Le néant.

C'est doux, le néant.

Un siècle, ça passe vite, dans le néant. Un siècle plus tard. Et je reprends conscience. Un ou deux petits siècles de rien du tout. Bordel, c'était quoi, ça ?

- Bordel ! C'était quoi, ça ?!

Mac Callaghan se leva au milieu des décombres qu'il ne percevait uniquement que grâce au projo pectoral de son armure. Il titubait et trébucha dans quelque chose. C'était son harnais de sécurité. Qui ne sécurisait plus grand-chose, à traîner ainsi par terre. Il tenta de comprendre la situation.

- Tout le monde respire correctement ?

Autour de lui son équipe s'agitait, l'air déboussolé. On lui répondit que oui, de manière générale. Les projecteurs des Marines semblèrent prendre vie un à un. Un moteur du Gold Eagle explosa, et le moignon du réacteur prit feu, ce qui offrit plus de visibilité sur la scène du crash. Le rotor tordu du deuxième réacteur piaillait en continu dans de longs crissements d'acier. L'air puait le carburant obtenu à partir du raffinement du gaz Vespene. La soute, la coque et les compartiments de survie du côté bâbord étaient explosés, fendus, détruits. La roche avait éventré le Médivac, l'avait complètement perforé, coupé en deux. L'armature du G-226 avait protégé du mieux qu'elle avait pu ses passagers.

- On se regroupe à l'extérieur. Ramassez vos bricoles. On va constater de l'ampleur des dégâts avant quoi que ce soit. Je ne voudrais pas que notre coucou nous implose à la tronche.
Mac Callaghan sortit le premier par les soutes de largage. Suivirent les Caporaux Bishop et Astartés, le Soldat d'Unité Médicale Sanchez et le deuxième classe Magnum. Le Sergent chef Wyatt et son second, le sergent Piotr « Bob », sortirent les derniers des soutes du Gold Eagle. Les armures 5-4 des Maraudeurs étaient bien moins maniables que celles de leurs confrères Marines. Alice apparut enfin, semant le doute parmi le reste de la troupe :

- Et Liv Liberty ? N'était-elle pas avec vous ?

Mac Callaghan se précipita vers le cockpit de l'appareil. Ce dernier était enfoncé par les rochers, compacté lors de l'impact avec la surface. Le plastovitrage était réduit en morceaux, telles des échardes de cristal, dans lesquels pataugeait le Lieutenant Callaghan. La tôle froissée était difforme. Les jambes du Sergent Liv étaient paralysées par tout cet amas de ferraille, et la jeune pilote était allongée sur son siège, la vie semblant l'avoir déjà quittée. Ash tenta tant bien que mal de dégager les tiges d'acier qui s'étaient figées dans le corps de la petite pilote lors du crash. Le panora-visuel du cockpit s'était enfoncé dans la chair de Liberty. La demoiselle était naturellement inconsciente.

- Sanchez ! Ramenez-vous, vite !

Victoria rejoignit d'un pas pressé le Lieutenant Callaghan. Le visage caché par la visière baissée de son armure, la médic ne pût s'empêcher une grimace au moment de découvrir Liberty.

- Je ne peux pas risquer d'auto-suture tant qu'elle est transpercée de part et d'autre, Lieutenant. Mais extraire les verges de métal déclencherait à coup sûr une hémorragie... et la douleur la réveillerait. Je crois... je crois qu'il vaut mieux la laisser partir ainsi.

- Personne, Sanchez ! Personne ne reste sur le terrain ! Et surtout pas Liberty ! Soyez prête à balancer tout ce que vous avez ! De grâce, faites tout votre possible.

Sur ces mots, Ash saisit le Sergent dans ses bras mécanisés. Il eut une profonde expiration, puis, le plus délicatement qu'il pût, il souleva le corps inerte de Liberty pour la préserver des débris la blessant. La carlingue encore chaude s'extrayait de la jeune femme en laissant à son sang tout le loisir de s'écouler par les plaies béantes qui recouvraient son corps. Sanchez concentrait la moindre nano-machine médicale en réserve sur les blessures de Liberty. Les scalpels lasers s'affolaient partout sur le corps de Liv, le cruor de synthèse tentait de palier à cette effusion de fluides vitaux qui giclait alentours, dans un vif halo vert émanant des substances reconstructives bio-assistées injectées en continu dans la chair du pilote. Sanchez pianotait sans cesse sur sa console médicale, repérant et contrecarrant les moindres anomalies, ressourçant le corps meurtri de Liberty, appliquant nombre de tissus organiques reconstitués, s'efforçant d'amoindrir les carences qui, avec les secondes, se creusaient.
Liberty avait été tirée hors de son coma dès les premières manipulations. Callaghan lui maintenait la tête, pendant que Sanchez s'appliquait à son travail. Mais, rapidement, l'Unité d'Assistance Médicale de Victoria afficha un graphique irrécupérable de l'état du patient. Poumons, artères, oesophage, vertèbres, trachée et cervelet, beaucoup trop de points primordiaux touchés pour permettre sa survie.

Lentement, Sanchez annula les soins en cours, désormais consciente qu'il s'agissait d'un gaspillage de temps et d'énergie. L'afflux soudain de sang qui envahit la gorge de Liberty la fit tousser et cracher. Son corps frêle était parcouru de spasmes et le teint de sa peau devenait livide d'instant en instant. Elle leva une main malade vers le visage de Callaghan. Ses fins doigts effleurèrent les joues du Lieutenant, et des yeux délicatement bleu gris de Liberty s'échappèrent quelques perles. Il déposa un baiser sur cette main fragile hors de laquelle la vie s'échappait.

- Je vous dois un verre, Liberty.
Mac Callaghan attrapa sa flasque, dans laquelle reposait un grand vingt-trois ans d'âge vieilli en véritable fût de chêne, provenant d'une des dernières cuvées de Mar Sara. Un fétiche. Il dévissa l'attache hermétique du goulot, et glissa le flacon dans les mains de Liberty. Les mains tremblotantes du Sergent approchèrent l'alcool de ses lèvres entrouvertes, n'y déposant que de symboliques gouttes dans les flots de sang qui stagnaient dans sa bouche. Liv mourut dans les quelques secondes qui suivirent cet instant, un léger sourire se dessinant sur son visage de jeune fille.
Ash inspira profondément, se saisissant de la plaque IDP attendant au cou de son pilote. D'un geste sec, il brisa la petite chaîne, et y jeta un regard mélancolique, perdu dans de sombres pensées. Elle était morte. Cette saloperie de mission de routine n'aurait jamais dû coûter là vie d'une de ses hommes. Jackson sentait que cet instant allait le hanter pendant de longues années. Il savait autant que quiconque que la culpabilité qu'éprouvait un supérieur vis-à-vis de la mort de l'un de ses éléments dans ce type de circonstances n'avait pas de raisons d'être...

Et pourtant.

La date de naissance gravée à même l'acier fit frissonner Callaghan.

Elle était plus jeune que le Whisky qu'il tenait entre les mains.
On zippa le corps de Liv Liberty dans un sac. Mac Callaghan avait horreur de ça. Mais il détestait encore plus l'idée de la laisser ici, dans la morgue de son propre vaisseau. Cependant, ils n'avaient pas d'autre choix que de venir la récupérer plus tard. Il leva les yeux là où aurait dû se trouver le ciel. On distinguait vaguement une nuance de couleurs qui se découpait dans la forme du canyon au dessus de leurs têtes. De petites taches de lumière vive éclataient ça et là, dans les « cieux », la tempête électrique faisant rage à la surface.

- Il me faut une réponse...

Callaghan se mit à fouiller les décombres de l'appareil. Son équipe restait à l'écart, craignant de déranger le Lieutenant qui, selon eux, désirait être seul à cet instant. Alice s'activa quand même à bidouiller les systèmes encore alimentés du poste de pilotage.

- Ne restez pas là plantés comme des piquets, les gars ! Venez m'aider à trouver cette saloperie de relais d'aide de camp ! S'il existe toujours...

Les soldats se précipitèrent partout autour de la zone du crash. Les décombres de l'appareil avaient été projetés alentours, éparpillés par la violence de l'impact. Il était probable qu'une partie de la cargaison avait voyagé de la même manière. Astartés rejoignit Callaghan dans la carcasse du Gold Eagle. Sanchez s'affairait à soigner le bras du Sergent-chef Wyatt, qui lui hurlait ses remerciements, et que comme quoi ce n'était pas sa faute à elle, qu'elle avait fait le nécessaire, et d'autres balivernes à titre de réconfort. Le Caporal Astartés, malgré l'air tourmenté de Callaghan, ne put s'empêcher de lui demander :

- Dites, Lieutenant, je n'ai peut être pas tout suivi mais... Il vous faut une réponse à quoi ? Pas que je me prétende capable d'y répondre, mais...

- Une réponse à pourquoi je viens de perdre l'un de mes Sergents, Caporal, c'est ça que je cherche ! Nous étions trop bas dans le gouffre pour avoir été touchés à nouveau par les foudres magnétiques et toutes les autres joyeusetés du genre, et cet espèce de délire des machines... C'est pas la première fois que ça arrive sur ce caillou, déjà quand j'enregistrais mon rapport, il s'était passé des trucs pas clairs... mais rien à voir avec le putain de delirium tremens qui nous a foutu au tapis tout à l'heure. J'ai la sale impression que plus on approche de notre objectif, plus nos systèmes électroniques foutent le camp... Mais dans ce cas, Tank et la 501 doivent aussi avoir eu des blagues de ce genre... Il faut les rejoindre au plus vite. De toute manière, sans eux on ne va pas pouvoir remonter de cette grosse vergeture.

- Lieutenant Callaghan !

- Ha ! Mon relais ?

La voix d'Alice provenait du cockpit. Ash et Astartés accoururent dehors pour rejoindre la cabine de pilotage, inaccessible depuis l'intérieur, à cause de l'accident. La Capitaine manipulait les ordinateurs de bord.

- J'ai achevé le reboot du système et accédé aux mémoires du G-226. Je vais en effectuer une sauvegarde pour analyse, quand on en aura l'occasion. L'unité de transmission et de réception est fichue, ainsi que pas mal d'autres outils de navigation qui auraient pu nous servir, mais il y a quand même ça.

Callaghan se baissa pour voir sur la console ce qu'Alice lui montrait. Selon l'unité principale du G-226, ils étaient aux coordonnées exactes indiquées par Mikhaïl Tank lors de leur dernière transcription.

- Ce n'est pas possible. Avant notre atterrissage forcé, Liberty avait parlé d'une heure de vol pour atteindre la zone de rencontre avec Alpha 501. Comment aurait-on pu parcourir, quand le moindre circuit nous a laissé tomber, la distance qui nous aurait demandé cinquante minutes de trajet ? Je ne savais pas que les ingénieurs du Dominion avaient monté des portes de transfert Protoss à bord de nos Médivacs. C'est insensé !

- Effectivement, je pense plutôt qu'il s'agit encore d'un bug, mais c'est assez troublant. Mais si on y était vraiment ?

- Si tel était le cas, j'espère qu'on serait déjà au courant...

- Mon Lieutenant !

Callaghan fit demi-tour. L'accent rouge de Piotr provenait d'un peu plus loin, dans la noirceur du ravin. Le Maraudeur ramenait quelque chose avec lui.

- Hey, Bob, on dirait que tu as trouvé ce que je cherchais. Et avec ça, peut-être des réponses. Il faudrait que Wyatt et toi fassiez un petit tour du zingue, pendant qu'on s'occupe de l'aide de camp. Faites-moi un compte-rendu de ce qui, selon vous, aurait pu causer les troubles dont on a été victimes en vol.

Bob le Polonais acquiesça d'un « Da » caractéristique, puis se mit en route, laissant le boîtier de relais aux bons soins de Callaghan. Il le brancha sur l'alimentation du G-226, et initialisa la séquence d'activation. La partie amovible se souleva, découvrant la console principale et l'holo-projecteur. Au dessus de ce dernier s'afficha le visage de synthèse de son aide de camp, une sorte de cyborg féminin à la voix sexy. Alice connecta la mémoire de sauvegarde des unités du Gold Eagle à la console de relais et initialisa le transfert.

- Bonsoir, Lieutenant Callaghan, annonça la jolie voix de la demoiselle synthétique.

- Aide de camp, il me faut un rapport d'analyse sur la séquence en transfert. Commence par le plus alarmant.

L'holo-projection resta quelques de seconde en cours de déchiffrage, puis se tourna vers Callaghan, son visage figé d'une unique expression neutre, et d'une tonalité guère plus expressive, déclara :

- Alerte. Anomalie détectée. Je suggère une erreur de la banque de données. Veuillez procéder à la vérification de la puissance du signal enregistré. Analyse interrompue jusqu'à confirmation.

- Pardon ?! Saloperie de résidus d'aggloméré électronique prétentieux, bien sûr que je confirme ta commande, imbécile ! Il n'y a aucune erreur, donne-moi ta foutue analyse, bordel !

L'aide de camp poursuivit donc de la même voix monocorde.

- Confirmé. Alerte. Anomalie psychique détectée. Je suggère d'ajouter ce nouveau schéma à titre d'exemple pour identification en cas de manifestations futures.

Alice poussa Callaghan de devant la console, lequel s'apprêtait à réduire en miettes le pauvre engin victime des procédures qu'on lui avait imposé de respecter. Le cyborg effectuait son travail avec rigueur et conventionalité - ce qui avait le don d'exaspérer Ash de manière récurrente.

- Anomalie psychique ? Aide de camp, envoie la totalité des détails, je te prie.

- Il s'agit d'une fréquence d'ondes psychiques dont l'écho est hors catégorie. Ce schéma pourrait appartenir...

Le Capitaine ne laissa pas à l'aide de camp le temps de finir en appuyant d'un geste net sur la commande d'alimentation. Mac Callaghan, qui depuis le début n'appréciait guère les cachoteries de la miss Fantôme, avait désormais la certitude qu'il ne s'agissait pas d'une vulgaire mission de
récupération. Il fixait Alice avec des yeux inquisiteurs, comme s'il avait voulu, à cet instant, pouvoir lui aussi farfouiller dans la tête des gens. Le calme s'était imposé de manière significative sur l'assemblée. Même le Sergent Araya avait saisi que quelque chose se passait. Il s'approcha près de Jackson, et, désireux de rester discret, lui cria :

- Quelqu' chose n'tourne pas rond, Lieutenant ?!

Callaghan appréciait particulièrement quand Wyatt s'imaginait qu'il parlait à voix basse. Son oreille gauche se mit à siffler désagréablement. Bien entendu, les visages se tournèrent instantanément vers le Sergent-chef et son supérieur.

- Je dirais même que ça a l'air de tourner rectangulaire, Wyatt, si tu vois ce que je veux dire... Capitaine ? Un petit exposé sur tout ce charabia, peut-être ?

- Et bien je dirais que, sans vouloir nous inventer de problèmes supplémentaires, soit l'aide de camp a été douloureusement victime du crash, ce qui n'a pas l'air d'être le cas, soit...

L'hésitation du Capitaine était palpable.

- Soit ... ? S'impatientait Callaghan.

- Soit rien. C'est forcément une erreur.

Jackson ne sembla pas l'entendre de cette oreille. (Rires !)

- Mon Capitaine, avec tout le respect dont il m'est possible de faire preuve, pour la dernière fois, il va falloir sérieusement penser à nous dire...

- Lieutenant Mac Callaghan ! J'avais cru m'être fait comprendre. Tant que votre ignorance au sujet des aspects confidentiels de ma mission reste sans incidence pour votre sécurité, j'ai ordre de les taire. Est-ce enfin clair ?

- Limpide, mon Capitaine. Toutes mes excuses. Vos directives ?

Le Sergent Piotr les interrompit à ce moment précis. S'excusant au préalable, il poursuivit quand Alice lui donna la permission de cracher sa vodka.

- Capitaine, Lieutenant, je viens au rapport. Après un bref coup d'oeil, je peux affirmer que Gold Eagle n'était pas suffisamment endommagé pour provoquer une telle perte de tous les contrôles. Sans compter que nos armures en ont aussi été victimes, c'est forcément un paramètre qui m'échappe.
Jackson acquiesça. Il porta son regard sur Alice, mais au vu de son air catégorique, il n'insista pas plus. Le besoin d'une bonne troupe se fit sentir. Il céda au caprice de son cerveau, et alluma un épais cigare avant d'en proposer un à son Capitaine. Cette dernière refusa poliment, ce qui ne fut pas le cas de Leszczynski. Alice donna alors suite à la dernière question de Callaghan.

- Nous devons rapidement et impérativement rejoindre Tank, Lieutenant. Poussons plus au nord, il me paraît évident que nous n'y sommes pas encore.

Ash opina une seconde fois. Il tira une longue bouffée avant de se retourner vers ses hommes. Il se ressaisit et se redressa, pendant que la fumée grasse et noire coulait dans son corps, se répandant dans son organisme, tel un goudron de plaisir revigorant, nutritif.

- Allez les gars ! Bougez vos culs pendant qu'ils sont encore bordés de nouilles ! On dégage d'ici, et en musique ! Je veux voir du mouvement ! Ramassez vos cliques, on rejoint Alpha 501 sur l'objectif pour extraction ! Restez groupés et concentrés ! Et faites gaffes où vous foutez les panards, je miserai pas mon flingue sur la stabilité de cette crevasse. Rock'n roll !

La foi en leur Lieutenant ranimée, la troupe se mit en branle au pas de course, dans la direction logique de leur objectif. Au moins, dans l'immense faille, les deux seules direction possibles étaient indiquées. Callaghan, qui fermait la marche, jeta un coup d'oeil en arrière au moment de partir, à l'attention de Gold Eagle, la tombe de Liberty. Le temps de faire l'aller-retour, Sergent, pensa-t-il. Et je reviens vous chercher.

Dans le cockpit du G-226, un écran cassé crépita puis s'alluma. Le fond vert illuminé sembla vibrer, parcouru d'ondes oscillatoires. Le transmetteur/récepteur revint à la vie, et se mit à grésiller. Au loin, dans le gouffre, les lumières des projecteurs pectoraux du petit commando disparaissaient au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient au nord. Les interférences sonores se murent en mélodie dont la qualité d'enregistrement laissait à désirer. Quelques notes au piano. Puis, brutalement, tout s'éteignit. Dans le reflet de l'écran, une silhouette, debout, se tenait immobile.
- Tank ? Mikhaïl ? Vous nous recevez ? Alpha 701 à Alpha 501, ici le Lieutenant Callaghan. Répondez...

Tout en continuant de courir, Ash appelait dans son Com. Link sur la Fréquence Générale Insécurisée longue portée. Mais visiblement, même après avoir parcouru des dizaines de kilomètres, ils n'étaient toujours pas à portée de leur signal radio. Les armures des Marines les portaient avec tellement d'aisance qu'on pouvait trouver un réel plaisir à courir pendant des heures à un rythme soutenu. Se balader là-dedans était réellement fascinant. L'intérieur cloisonné des Armures de Combat de l'ex Confederation Marines Corps était confortable, le régulateur climatique gardait l'atmosphère confinée de l'habitacle dans les meilleures conditions favorables aux efforts prolongés. Les membres automatisés pouvaient être libérés de la fonction manuelle pour passer en autonome, et le Soldat à l'intérieur pouvait se laisser porter par cette merveille de technologie. L'interface utilisateur était conçue pour être personnalisée de manière à ce que chacun se sente chez lui. Le réticule holographique se promenait librement sur la visière, détaillant chaque élément important de l'environnement, comme, par exemple, l'identité - si du moins elle était archivée dans la banque de données - et l'état global de santé du Marine sur lequel vous pointiez le réticule. Durant les combats, le viseur numérique se calibrait automatiquement avec la bouche du canon, mais cela n'aurait pas été pratique pendant les simples moments de déplacement.

Le modèle CMC 400 d'Armure de Combat des Marines Terran, qui n'était accessible qu'à certains soldats, disposait d'un système de personnalisation avancé permettant par exemple la conception d'une playlist musicale. Ce gadget faisait de nombreux envieux parmi les soldats limités au modèle CMC 300. Jackson faisait partie des défendeurs de cette exclusivité dont il bénéficiait. Il prenait plaisir à combler la moindre période creuse de service avec beaucoup de Hard Rock. A l'époque où les Terrans avaient rétabli le contact avec la Terre, la plus grosse quantité de marchandise importée fut le patrimoine culturel dont ils avaient été privés pendant de nombreuses générations. La totalité du secteur Koprulu s'était mis à consommer des tonnes de classiques musicaux, de films et de livres qu'avaient préservés leurs ancêtres. Callaghan avait mis la main sur de véritables anthologies avec lesquelles il avait garni la mémoire virtuelle de son armure personnelle. Dans l'habitacle, Motörhead venait de terminer « Hellraiser » pour laisser enchaîner AC/DC sur « Decibel ».

Angus Young fut néanmoins brutalement interrompu entre deux couplets quand la FGI du Com. Link se mit à grésiller, et l'IA de l'Armure annonça qu'elle venait d'établir le contact avec le signal radio d'A501. Ash se mit à rabâcher la procédure de contact.

- A701 à A501, ici Callaghan, répondez.

La seule voix qui lui répondit, Jackson ne la reconnut pas. Elle bégayait une phrase en boucle, frénétiquement, comme si elle s'attendait d'un moment à l'autre à recevoir l'extrême onction. Les pensées du Lieutenant Callaghan s'assombrirent. Il crut comprendre, à travers le cafouillis de la voix, deux mots étranges, qui sonnaient comme « Kyrie Eleison ». Sans interrompre les foulées qu'il ne cessait d'agrandir, Ash jeta un oeil à ses hommes. Manifestement ils avaient aussi reçu la transmission. Il rejoignit le canal privé de son unité.

- J'ai bien l'impression que le bug nous poursuit, messieurs... Quelqu'un sait si l'un des hommes de l'escouade de Tank parle Grec ?

Le Caporal Bishop se permit de répondre :

- C'est du Grec ?

- Oui Caporal, ça se traduit par « Seigneur, aie pitié », ou un truc du genre. En tout cas, on doit pas être bien loin, si on commence à capter leurs signaux. Ouvrez l'oeil, même si on n'y voit pas grand-chose avec les projos.

- Je les vois, annonça Astartés, à onze heures, entre cinq et six cent mètres. On distingue des taches de lumière. Merde alors, regardez ça !

Au loin, dans l'obscurité, une immense structure sembla prendre vie, s'illuminant progressivement, découvrant ses contours. Un bâtiment circulaire, sur plusieurs étages, avec en son centre trois grands axes verticaux se dressant vers le ciel, qui irradiaient une intense lumière. Ils guidaient, tels des rails, trois anneaux amovibles se superposant. L'accélérateur magnétique d'un silo de lancement. Ceci n'avait strictement rien de ce qu'ils étaient supposés retrouver. Callaghan ne put s'empêcher de faire part à toute l'équipe de son mécontentement justifié, ne cessant, avec le temps, de s'accroître :

- Ah il est vachement beau, le putain de Centre Technique ! Bordel, j't'en foutrais moi ! Saloperie, j'aurais dû m'en douter ! Capitaine, elle commence à me courir, votre chierie de mission à la con ! 'Va falloir éviter de trop nous prendre pour des tanches à l'avenir, parce que ça, c'est un Laboratoire Annexe de la Section Psi, accessoirement, et ce n'est pas, mais pas du tout ce qu'on est censés déterrer ici ! De la à ce que votre QG confonde une de ses propres Sections avec un bête Centre de recherches... sérieusement !

- Ça ira, Lieutenant Callaghan. Il est temps que vous vous habituiez aux méthodes de la SecPsi. Votre Général aurait refusé de prêter l'un de ses détachements s'il avait su que c'était uniquement dans l'intérêt du Gouvernement du Nouvel Empire.

- Et j'aurais approuvé son refus, si on m'avait demandé mon avis ! Je travaille avec le Général Duke depuis une paire, et je peux vous garantir sur facture que comme lui, je l'aime pas, l'Empereur Arcturus Mengsk de mes fesses. Et ça ne va pas pour s'arranger, avec de pareilles élucubrations ! J'espère que vous vous souvenez que l'Escadrille Alpha toute entière avait pour ordre de le détruire, lui et sa coalition terroriste rebelle, il n'y a pas plus tard que l'année dernière !

Alice ne le savait que trop bien.

- C'était avant la chute du Norad II et l'incident de Tarsonis. Edmund Duke a prêté serment à Arcturus bien avant son couronnement. Maintenant, les Alpha lui appartiennent légalement et officiellement.

Mac Callaghan fit la grimace.

- « L'incident de Tarsonis »... L'invasion, vous voulez dire. Si ça n'avait pas été notre planète, on aurait laissé ces foutus terroristes se faire mâchouiller par les Zergs. Ça leur aurait fait les pieds. 'Pas vrai les gars ?

Les 701 répondirent en choeur un grand « Ouais, Lieutenant ! » dans un élan de patriotisme inconditionnel. Ils étaient tous des vétérans, et ce de plusieurs conflits, mais aux yeux de Callaghan, ils étaient surtout des « rodés ». Ils avaient combattu les Zergs ensemble, et y avaient survécu. Un détail qui pèse lourd dans un dossier de soldat. Jackson avait voulu, depuis Tarsonis, que ses futurs éléments soient des rodés. Sanchez avait été la première à avoir été choisie en fonction de ce critère.

Mieux encore, quand Ash avait lu qu'elle avait fait Tarsonis, il avait demandé la permission d'obtenir un entretien, chose que font seulement les plus consciencieux des leaders. Il savait que de nombreux soldats se voyaient attribuer l'Etoile de Respect pour n'avoir fait que monter à bord d'un Dropship en courant et en hurlant, à peine un Zergling avait pointé le bout de sa sale tronche hors du sol. Sans même brûler une cartouche. Le lieutenant avait horreur de tous ces décorés-sur-le-tas, et en avait pitié, car ils seraient réexpédiés dans un sac au premier véritable affrontement. Il trouvait honteux et irresponsable de décerner cet insigne à des hommes inconscients vis-à-vis de la réalité. Il l'appelait « l'Etoile de l'Aller-Simple ». C'était sa seule signification, pour lui qui avait combattu sur le monde-capitale de Tarsonis. Jackson eut malgré lui les images de l'opération qui lui sautèrent aux yeux...

Le ciel était en flammes. D'immenses champignons de poussière et de cendres étaient en suspension dans les airs. Allongé sur le dos, il était à terre. Dans l'habitacle de son Armure, Kirk Hammett aboyait « All Nightmare Long », en dehors de toute volonté. Les tranchants du Zergling avaient bousillé les commandes de l'interface de personnalisation, et bloqué le volume à son maximum. Sa jambe droite tressautait frénétiquement. De l'articulation de la cheville à la hanche, des dizaines de clous acides lui rongeaient la chair et les os. Il voyait Astartés sous StimPacks qui expédiait des pralines de .50 un peu partout en face de lui. Il était épaulé par Bishop, qui lui passait ses chargeurs, parce que son Gauss était en deux morceaux bien distincts. Il se sentit attrapé et tiré par Jorgensen. Le Flammeur pointait son énorme Gantelet Perdition vers des douzaines de petits fauchards excités, lézards baveux frénétiques plus connus parmi les Terrans sous le code de Zerglings. Il leur hurlait des provocations et des insultes, en leur expliquant qu'il les invitait à un « p'tit barbecue festif, sauce béarnaise ». Désireux d'être à l'heure, les rapides Zergs chargèrent sans plus attendre, et Jorgensen en fit de l'hydroxyde de carbone, en riant nerveusement. Astartés et Bishop se replièrent en les dépassant. Derrière Jackson, les moteurs en sous régime de Gold Eagle grondèrent, se rapprochant. Le Flammeur souleva Jackson, jetant un regard anxieux aux immenses créatures serpentines se rapprochant dangereusement dans les ruines en face d'eux.

- Allez Lieutenant, on fout le camp ! Accrochez-vous !

Ash était on ne peut plus d'accord.

- 'Va falloir me traîner, je crois bien...

- Ça m'rappelle la fois sur Mar Sara où j'vous avais concocté un de mes p'tits Mazouts Maison ! Vous auriez vu vot' état ! Y a fallu qu'vous trimbale d'la même manière ! C'était pas triste, j'vous l'...

Jackson retomba brutalement à terre. Jorgensen venait de le lâcher. Il l'entendit s'écraser au sol, transpercé par les Hydralisks qui venaient de lui clouer le bec, d'une volée d'aiguilles. Callaghan ne prit pas le temps de jurer, ce qui est assez rare, et déploya tout ce qu'il avait de réserves pour se remettre sur pieds. En vain. Il retomba douloureusement en entendant une pluie de pics acérés ricocher alentours. Il se mit à ramper, dépassant le cadavre de Jorgensen, et remarquant à son grand plaisir que la rampe d'accès de la soute du Médivac lui tournait le dos. Si on avait dit à Callaghan, à cet instant précis, qu'il survivrait, il aurait probablement éclaté de rire. Ses soldats ne pouvaient voir dans quelle mélasse il était, et leur temps de réaction lui serait probablement fatal. Jackson, qui avait fait une croix sur toute probabilité de futur, avait tout de même pour but de respecter l'une des plus anciennes traditions de son Escadrille.

Un Alpha ne meurt pas avec un chargeur plein. Il se retourna sur le dos, et alla chercher à sa cuisse sa dernière arme. L'énorme Colt Templar de calibre 556 Magnum est plus une brique d'acier aux arrondis de Revolver qu'une arme conventionnelle. Ce congloméré de potentiel de destruction compact crache des dragées « spécial baptême » à tête creuse en Néo-Acier, chemisées Titane et propulsées U.238 - uranium appauvri - par lot de six par barillet. Chaque flash entraîné par la réaction atomique dans l'étui est susceptible de vous faire bronzer. Le Lieutenant Callaghan avait toujours trouvé poétique cette teinte bleu turquoise de l'eau peu profonde au petit matin, fluorescent à la limite du vert pomme très clair qui émanait de la combustion au moment du tir. Et justement, il se sentait d'humeur à composer, dans un ultime élan d'inspiration. Cette verve ! Cette prose ! Cette tirade ! Ce sens des mots ! Du véritable John Rimbaud. Chaque détonation arrachait des morceaux de Zerg fumant, des bouts de chair, des résidus d'intérieurs, des litres de sang et de la purée de cartilage. Si la moindre ogive pouvait faire un trou de la taille d'une assiette dans trois corps humains d'affilée, Callaghan devait en attribuer pas moins de deux par adversaire. Il jurait à chaque détonation. Les Hydralisks avaient dû décider de le mettre en pièce à l'ancienne, au corps-à-corps, puisqu'à défaut de le transformer en hérisson, elles s'avançaient en sifflant, serpentant silencieusement sans se soucier de leurs soeurs, saignées sans scrupules.

- Sssaloperies ! Cracha Callaghan, qui ne voulait pas arriver Ad Patres le foie plein de bile.

Le Colt Templar rugit une sixième fois, et Ash savait que le temps qu'il remplace les cartouches du barillet, les Zergs auraient gagné sur lui beaucoup de terrain. Il s'y essaya tout de même. Au moment où d'un geste sec et net il vida les six chambres, des rafales de C-14 Gauss se mirent à pleuvoir sur les Hydralisks étonnées de cette farouche résistance que leur opposaient les Marines. Jackson s'octroya le luxe de regarder une fraction de seconde cette providence inespérée. Liv Liberty, qui était la seule à avoir pu le voir, avait jailli hors du cockpit de Gold Eagle, la blancheur immaculée d'un Archange sorti tout droit du pressing dans son Armure d'Officier Médical, se précipitant vers son Lieutenant tout en arrosant convenablement les moissonneurs Zergs venus exécuter leur office. Sous influence d'une forte dose de StimPacks, elle attrapa Ash pour le tirer jusqu'aux soutes du Médivac. Ce dernier avait pris soin de recharger son poinçonneur des lilas, et se mit, pendant que Liberty le traînait à l'abri dans une glorieuse scène héroïque au ralenti, à abattre la colère divine sur leurs poursuivants enragés.

C'avait été la première des trois fois ou Liv avait donné à Callaghan l'opportunité de revoir le soleil. Sur cette réflexion, Ash revint à la réalité. Se rendant compte qu'il était un peu perdu dans ses pensées et qu'autour de lui, son escouade le fixait, il alluma un cigare.

- Bon... Ben, allons-y. Inutile de poser de questions, j'imagine, dit-il en lançant un regard en coin à son Capitaine. De toutes manières on ne doit pas être au bout de nos surprises.

Le Lieutenant Callaghan ne croyait pas si bien dire. De l'accès principal de la structure, Mikhaïl Tank jaillit en courant, riant aux éclats, hystériquement, hurlant d'incompréhensibles mots dont l'agencement était manifestement chaotique et dénué de sens. Il semblait fuir quelque chose, à première vue, puisqu'il se retourna vers la porte, et, courant de dos, se mit à expédier des cartouches sans se préoccuper du budget du Dominion. Le premier réflexe des hommes d'Ash fut de mettre en joue l'accès qui était apparemment la cible de Tank, s'attendant à en voir sortir une quelconque menace.

La confusion s'empara d'eux lorsque Mikhaïl arrêta soudainement de viser la porte pour se mettre à tirer par terre, à ses pieds, puis aussi soudainement, au dessus de lui. Il ne semblait même pas les avoir remarqués. Jackson restait qua. Le Caporal Astartés s'avança pour l'apostropher.

- Que se passe-t-il, bon s...

Callaghan n'eut pas le temps de penser à une réponse. Il entendit juste le bruit sec de six détonations instantanément suivi du son des violents impacts sur l'Armure du Caporal. La rafale venait de lui tailler une boutonnière, à supposer que vous placiez le plus haut bouton sur la mâchoire. Ash vit en un éclair le visage d'Astartés s'étaler sur les parois de l'habitacle, avant que son corps sans vie ne bascule contre lui. Il eut le réflexe de le rattraper, ne comprenant pas encore ce qu'il venait de se passer. Ce fut l'entraînement qui réagit à sa place. Il se jeta à couvert, aussitôt suivi du reste de son équipe. Tout le monde se mit à jurer en même temps. La fréquence d'Alpha 701 fut saturée en une seconde. Ash s'imposa, professionnel :

- Fermez vos gueules ! Bordel de merde, qu'est-ce que c'est que cette foutue blague ! Il l'a étalé ! Bishop, matte un peu si c'est bien le Sous-lieutenant Tank qui nous aligne ! J'ai pas rêvé ?

Des balles continuaient à s'écraser sur le couvert de leur position - l'amoncellement de roches dû aux éboulements. Bishop s'exécuta, discrètement. Sanchez rampa jusqu'au Lieutenant. Son regard exprimait un mélange entre le choc et la peur. L'effort qu'elle fit pour se reprendre était visible. Elle ausculta d'une main tremblante le visage de Callaghan.

- Vous n'êtes pas blessé ?

Jackson jeta un regard au gorgerin de son Armure. Il était aspergé de grumeaux. Il songea que les taches qu'il discernait sur sa visière appartenaient au Caporal.

- Je n'ai rien, Doc. Regardez votre UAM, l'état global des hommes de l'escouade y est affiché. Vous êtes au clair ?

- Je... je ne sais pas trop... je dois avouer que je ne comprends rien de ce qui se passe...

Bishop attira l'attention de Jackson d'une main sur l'épaulière. Sanchez balaya d'un regard sa console au bras, plus machinalement que pour suivre le conseil du Lieutenant. Le cardiogramme du Caporal Astartés calquait l'horizon.

- Aucun doute, mon Lieut'nant. C'est Tank. Il a perdu la tête !

- Et avec la sienne celle d'Astartés. Bon dieu de... de tabouret !

Alice apostropha le Lieutenant, l'air anxieux.

- Mac Callaghan ?

- Il n'y a pas de mots pour qualifier cette opération, mon Capitaine ! On nage en plein délire !

Alice se rapprocha suffisamment de Jackson pour qu'à mi-voix il soit à peu près le seul à entendre. Elle releva son Unité d'Assistance Visuelle pour rendre leur liberté à ses délicats yeux verts. Sans qu'Ash n'y puisse rien, sa visière se releva, comme si c'était lui qui l'avait commandé.

Il en déduit que c'était un tour de passe-passe de son Capitaine. Il avait horreur de ce sentiment. Ne pas être en sécurité, même dans sa propre tête. Elle pouvait y « entrer » et y faire ce que bon lui semblait. Lire et moduler ses pensées, lui dire, lui faire dire et voir des choses, exercer sur lui un contrôle quasi-total, un viol de l'intégrité la plus intime. Le pire était probablement de ne pas savoir quand cela se passait. Elle plongea son regard dans le sien, et il put y lire de l'appréhension.

- Jack, je crains que quelque chose ne m'échappe...

Alice ne l'appelait « Jack » que dans les situations où ils pouvaient se passer de l'habillage militaire normalement obligatoire. Il s'agissait généralement des situations où ils se passaient d'habits, militaires ou non. Jackson ne sut quoi dire. L'agréable beuglement de Wyatt résonna dans le Com. Link de l'unité, mettant un terme à la tension de l'instant.

- Lieutenant ! Il est à court de jus ! On l'allume ?

- Négatif Sergent ! Je répète, négatif ! Pas un mort de plus ! Accusez réception, réclama Ash, qui lui ordonnait, pendant qu'il parlait, la même chose en langage de bataille.

On n'était jamais trop prudent, avec ses tympans en tungstène. Wyatt acquiesça, levant le poing en l'air, le code « stand by ». Jackson se redressa pour observer Mikhaïl, l'alignant tout de même, juste au cas où. Le Sous-lieutenant avait jeté son fusil Gauss, et venait de se saisir de quelque chose à sa ceinture, duquel il enleva un morceau avec sa main libre. Callaghan savait que c'était une grenade. Il reçut une communication entrante, et s'empressa de l'autoriser, remarquant qu'elle provenait d'A501, et plus précisément de son second, qu'il tenait en joue à ce moment. Sa voix était dissonante, méconnaissable. Mais ce qui marqua Jackson, ce furent les mots.

Aucun être humain, aucun être doué de parole n'aurait pu articuler ce qu'entendit Mac Callaghan. De tels sons ne pouvaient exister, car leur nature même constituait un paradoxe absolument inexplicable. Jackson voulu se protéger les oreilles, parce qu'elles refusaient d'admettre que ce qu'elles entendaient puisse être possible. Il en lâcha son arme, ses yeux se mirent à pleurer abondamment, sans raison, et son nez le brûla de l'intérieur, comme si on y avait introduit une tige d'acier portée au rouge. Ses glandes salivaires secrétaient du sang.

Les trois secondes les plus longues de la vie toute entière du Lieutenant s'écoulèrent, pendant lesquelles Mikhaïl avait semblé lutter ardemment contre lui-même pour se placer l'engin explosif sous le menton.

La communication fut brutalement avortée par la détonation.
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