Fanfiction StarCraft II

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Starcraft : Une porte vers l'enfer

Par Maxcaster
Les autres histoires de l'auteur

Chapitre 1 : Un départ pour l'enfer

Chapitre 2 : Lorsqu'on a plus rien à perdre

Chapitre 3 : Un nouveau départ

Certains auraient qualifié le bordel régnant dans l'appartement d'invivable, mais pour Patrick Decker, c'était le paradis sur Tarsonis. C'était chez soi, son chez soi. Il n'y était pas revenu depuis près de six mois, et tout semblait à peu près à sa place, hormis un unique carré un peu moins poussiéreux que la moyenne, sur le mur de néométal, signifiant que quelqu'un était récemment parti avec son moniteur mural. Une odeur atroce lui monta aux narines, mais après l'enfer qu'il venait de traverser, il n'aurait su dire la différence entre ça et les parfums de ses conquêtes passées. Au diable, comme l'aurait dit les gens de la Vieille Terre, rien d'insolite n'importait désormais qu'il était rentré chez lui. Grand, large d'épaules et costaud à ne pas posséder de cou, ses vêtements délavés auraient étés démodés une décennie plus, et le sac de voyage qu'il tenait sur son épaule ne semblait pas manquer d'espace à revendre.

L'homme s'avança dans la plus grande pièce de l'appartement qui n'en comptait pas tout à fait le double. Une table et deux chaises occupaient l'un des coins près de la porte, juste à côté de vieux électroménagers. C'est alors qu'il la vit : sur la table, à demi enterrée sous une pile de vaisselle qui jadis avait dû être propre, une boîte d'ailes Buffalo d'Antiga gisait, sans doute depuis quelques mois, et une rapide inspection révéla que les ailes de poulet s'y trouvaient toujours. Decker laissa tomber son sac sur le sol de tuiles craquelées, s'empara de la boîte et voulu la laisser tomber dans la poubelle cachée sous l'évier, mais lorsqu'il ouvrit la porte de l'armoire, les corps d'une famille de rongeurs morts depuis un moment le poussa à la refermer. Demain, se dit-il, il irait rendre visite au concierge de l'immeuble à logements. Ses bottes de métal trop serrées martelant le sol, l'homme s'aventura dans la seconde moitié de la pièce, et se figea à la vue de la dizaine de bouteilles de bière éparpillées dans son petit salon. Certaines avaient roulées sous l'unique divan de cuir brûlé par des mégots abandonnés, d'autres avaient visiblement été fracassées par quelqu'un de trop ivre pour se contrôler. Moi , se rappela-t-il, et la bande venue pour la fête . De nombreux potes perdus de vue depuis l'école aux adultes... Potes qui, d'ailleurs, l'avaient fait jeté en prison pour six mois à la solde de cette même fête entre « amis ». Mais bon, ils s'étaient tellement soûlés cette nuit là que lui-même ne parvenait pas à se rappeler ne serait-ce qu'un moment des événements, alors j'attendrai que les voisins viennent me chercher des comptes, et me rappeler pourquoi ils les veulent, avant de juger les autres qui ont participé à ce grabuge .

Baigné des lueurs orangées du crépuscule s'infiltrant par l'unique verrière, qui faisait office de mur de fond, Decker s'étendit sur le divan en face duquel son moniteur mural aurait dû se trouver. Sa voisine immédiate, pour autant qu'il pouvait se la remémorer, devait toujours posséder le sien, car le son filtrait à travers la mince couche de néométal. L'homme n'y prêta pas attention de prime abord, les paroles étouffées lui remémorant son séjour en tôles, sur une station orbitale microscopique depuis laquelle il pouvait presque apercevoir la tour abritant son appartement. Peut-être que le souvenir des couloirs confis de la station et de la perpétuelle pénombre qui y régnait le poussa à rechercher de l'espace, mais quoi qu'il en soit, Decker se redressa sur le divan, et porta son regard sur le panorama crépusculaire. L'immanquable tour de l'Universal News Network dominait les horizons, avec pour seules rivales les véritables palais où vivaient les Vieilles Familles qui régnaient sur la Confédération de l'Homme. Plissant les yeux, l'ancien détenu fouilla sa mémoire à la vue de l'une de ces constructions... puis la voix provenant de l'appartement voisin s'imposa malgré lui :

« ...que les récentes et multiples attaques survenues à l'encontre des Vielles Familles dans les dernières heures ont poussé le Conseil à user de toutes ses cartes pour l'investigation en cour. Rappelons à nos auditeurs que, de toutes les attaques, la plus tragique et la plus effroyable demeure celle survenue ce matin au Terra's Skycrapper, où la totalité de la Vieille Famille aurait été tuée de façon indéterminée. Le dernier décompte adressé par les autorités fait également état de trois cents morts dans les parages du bâtiment de la famille Terra. C'était Nadia Lijemberg, pour UN N ».

L'animateur qui suivit rappela des nouvelles qui n'avaient eue de cesse de se répéter depuis les derniers jours, jusque dans la salle commune de la station orbitale surpeuplée. Il parla d'Edmund Duke et du crash du vaisseau amiral des confeds, supposément causé par des toxines relâchées par les Fils de Khoral dans l'air du grand vaisseau. Dommage, pensa Decker, les Fistons n'ont même pas réussis à crever le général Duke. Au moins il a eu le culot de changer de camp, drogues zombifiantes ou pas . L'homme porta à nouveau son regard vers la tour de l'Universal, d'où la femme avait dû réciter ses nouvelles, puis tangua vers les palaces des Vieilles Familles, à l'opposé de la ville. À y regarder de plus près, il parvint à discerner les véhicules des autorités qui patrouillaient toujours le ciel du secteur. Véhicules qui allaient et venaient dans un ballet continu, sur une toile de fond constituée d'un unique soleil couchant... avant même qu'il ne réalise que la fatigue le gagnait, Decker sombra sur le divan.

Conditionné depuis longtemps à l'horaire de la station carcérale, l'ancien détenu se réveilla bien malgré lui un bon moment avant que l'aube se pointe. Résigné et ankylosé, il se leva du divan qu'il regretta de ne pas avoir tiré, pour en faire un lit de taille plus respectable, et s'enfonça dans la salle de bain. Un brin de nostalgie l'envahie à la vue de son propre visage, alors qu'il avait été privé de tout objet réfléchissant pendant près de six mois de sa vie. S'il avait taillé sa barbe à l'improviste et, surtout, avec les moyens du bord pendant tout ce temps, Decker prit cette fois tout le temps et, une barbe fraîchement rasée et une douche plus tard, l'homme fouilla l'unique commode près du divan pour y trouver ses quelques vêtements. En poche, il ne lui restait qu'une poignée de crédit, gracieuseté de ses geôliers, et la première chose qui lui vint à l'esprit fut de rendre une petite visite à un vieil ami... Il quitta l'appartement, s'enfonça dans l'élévateur bruyant et sorti dans la petite rue. Deux cents mètres plus loin, il poussa la porte d'un bar de la célèbre chaîne Supernova Men's Club, dont l'immense et suggestive affiche au néon illuminait l'obscurité de rose et de bleu. À l'intérieur, Decker trouva la salle pratiquement désertée à cette heure matinale. Il pourrait toujours revenir plus tard pour les femmes; pour l'heure, un seul homme méritait son attention, et cet homme avait les deux coudes appuyés sur son comptoir, et comptait d'alléchantes liasses de billets verts. Au son de la porte se refermant, il leva les yeux d'un air mécontent, puis sembla se figer à la vue de quelqu'un qu'il avait cru parti pour de bon. En ayant mare du silence pesant, l'ancien détenu cassa la glace :

- C'est moi, déclara Decker. Ils ont décidés qu'ils m'avaient assez vue, alors ils m'ont embarqué dans le premier transport venu, qui a eu un bris de propulsion quelque part au-dessus de la face opposée. Ils m'ont largué en affirmant que j'étais trop lourd pour leur navette. J'ai ensuite traversé la moitié de la planète avec dix-sept crédits en poche pour venir retrouver mon bordel. Maintenant je suis là, et j'ai besoin de ma job, Keg.

Pete Keggrian, un homme à qui l'alcool n'avait rapporté que des bénéfices, hormis peut-être l'imposante bedaine venue avec la cinquantaine, laissa tomber ses recettes de la veille, et se redressa derrière son comptoir.

- Pat ! Nom de Dieu, ça fait un bail! Tu étais en prison tout ce temps là ?
Decker fronça les sourcils.

- Quelque part au-dessus du pôle Nord. Où es-ce que tu croyais que j'étais ?

- Eh bien... (il sembla mal à l'aise) Certains ont pariés qu'ils t'avaient envoyés dans les marines... Maria ! s'écria-t-il un peu bêtement en se tournant vers la porte des cuisines.

- Quoi ? répliqua une voix féminine depuis l'autre côté.

- Des ailes Buffalo au plus vite... et pas celles des clients.

- Ok (elle hésita, puis rajouta) boss.
Decker s'avança, et grimpa sur un tabouret non loin de Keggrian.

- Vous pensiez qu'ils m'avaient emmenés dans les marines ? répéta l'ancien détenu. Bah, je suppose que ça n'aurait pas été pire que la station orbitale... (il regarda l'autre dans les yeux) Keg, j'ai toute une pile de factures qui vont rentrer dès que les gens sauront que je suis revenu, et je n'ai plus d'argent. Il me faut ma job!

Le barman vira au rouge vif.

- Eh bien... Vois-tu, j'ai embauché un autre portier dès qu'ils t'ont emmené. J'avais ma business à rouler... Mais pourquoi est-ce qu'ils t'ont enfermé ?

- Je ne le sais même pas. J'avais rencontré des vieux potes ici un soir. On est allé finir la fête chez moi, et je ne me souviens de rien à part que les confeds sont venus me chercher dès le matin suivant... mais ne change pas de sujet, j'ai besoin d'un emploi! Un homme comme toi, qui gère tant d'affaires, tu dois avoir quelque chose pour moi... n'importe quoi!

La flatterie parue détendre le barman un instant, jusqu'à ce qu'il range expressément ses liasses de billets dans un coffre sous le comptoir. Il marmonna un moment pour lui-même, se détourna en quête de quelque chose d'urgent à régler et, faute de mieux, il alluma la vieille télévision suspendue au mur. Voyant que le « revenant » ne portait guère attention aux dessins animés toujours fidèles aux petits matins, le barman changea de chaîne jusqu'à tomber sur UNN, qui rappelait la tragédie de la veille.

- Horrible... commenta Keggrian un peu au hasard. La famille Terra et trois cents personnes...

- Je peux passer un appel ?

Le barman cessa de s'agiter et regarda Decker dans les yeux.

- Un appel ?

- Un appel.

- Local ?

- Non. Appelle le relais orbital, demande la centrale des communications de Chau Sara et qu'ils transfèrent ensuite à Marielle Decker, appartement 36, Université de Chau Sara. Merci.

Keggrian perdit tout sourire. En fait, il afficha une expression que Decker n'aurait jamais pensé voir sur le visage de cet homme : l'horreur. Il se passa quelques secondes avant que le barman ne parvienne à articuler :

- Ta soeur était sur Chau Sara ? Marielle était sur Chau Sara ?

- Elle devrait toujours y être, je... (Decker hésita, un affreux doute naissant en lui) Pourquoi tu me demandes ça ?

À cet instant, une femme que Decker n'avait pas remarquée auparavant se glissa sur le tabouret voisin du sien, fixant l'homme d'un regard qui lui donna un frisson dans le dos.

- Vous êtes seul, avança-t-elle. Vous n'avez pas d'emploi, plus d'amis. Vous êtes fort et, oh! vous sortez de prison pour un crime que vous ne voulez pas vous rappeler. Hmm, je peux déduire que votre soeur cadette est morte dans la destruction de Chau Sara, vous n'avez de ce fait plus aucun lien avec personne. Vous répondez donc à tous les critères. Vous allez maintenant me suivre, parce que je viens de vous recruter, au nom de la Confédération de l'Homme, et vous partez à l'instant pour devenir marine. Et n'oubliez pas vos ailes Buffalo d'Antiga qu'une certaine Maria est sur le point d'apporter, il serait regrettable de ne pas en profiter pendant qu'elles sont encore disponibles.

Decker manqua la dernière partie de l'exposé, tout simplement parce qu'il avait arrêté d'écouter quelque part à mi-chemin. Je peux déduire que votre soeur cadette est morte dans la destruction de Chau Sar a. La mystérieuse femme s'était levée, prenant l'ancien détenu par le coude, excepté que ce dernier n'esquissa pas le moindre mouvement.

- Que venez-vous de dire ? Qui êtes-vous ? Et qu'est-ce que vous voulez insinuer ?

Il la regarda brusquement dans les yeux, une fureur jusque là inconnue envahissant chaque parcelle de son âme. La femme recula de quelques pas, son air innocent remplacé par une expression ferme.

- Vous êtes recruté pour servir la Confédération. Vous allez me...

- Pas ça, idiote! hurla Decker. Qu'est-ce qui se passe avec Chau Sara ?

- La planète a été complètement détruite, lança Keg, dans son dos. Rien à voir avec Khoral IV... C'était beaucoup plus spectacu...
Spectaculaire. Sa soeur venait de périr, et cet homme appelait ça spectaculaire . Avant de savoir ce qu'il faisait, Decker se retourna et expédia derechef le barman au tapis, répandant une marre de sang affluant du nez cassé de Keggrian, qui hurla et ragea.

Quelque chose piqua Decker dans le haut du cou.

Un petit sifflement d'air.

L'ancien détenu n'eut pas la chance de faire un mouvement de plus. Quelqu'un, la femme confed sans aucun doute, venait de lui injecter quelque chose, et la dernière chose qu'il vit, alors que sa vision s'embrouillait, fut deux soldats entrer dans le bar pour se saisir de lui.
Des voix retentirent tout autour, discrètes, lointaines. Des voix semblables à des murmures se faufilant jusqu'à ses oreilles, dont les paroles semblaient dépourvu d'un sens quelconque. Et dès lors, la migraine chargea, tellement intense qu'elle en balaya les voix et poussa Decker à porter une main à son front. En une fraction de secondes, tous ses muscles se crispèrent et furent prit de spasmes effroyables. Une unique plainte étouffée sorti de sa bouche avant que sa propre salive ne l'étouffe, sans qu'il ne parvienne à remuer le moindre membre. Puis, soudainement, il se figea dans le lit, vaguement conscient qu'une myriade d'officiers médicaux venaient de se ruer autour de lui, certains aboyant des ordres tandis que d'autres approchaient toute une panoplie de matériel. Immobile jusque dans la moelle de son âme, Decker perdit peu à peu conscience de son entourage, jusqu'à sombrer à nouveau dans les vapes.

- Crise d'épilepsie ? demanda quelqu'un.

- Réaction allergique, mon colonel, précisa une autre voix. Son dossier médical indique qu'il est demeuré inconscient un bon moment, dans les tous derniers jours de son incarcération. Une affaire d'overdose de drogues qu'il s'est procurée on ne sait où. Le labo a confirmé que le calmant qui lui a été injecté au bar n'a pas été accueilli à bras ouverts par les résidus. Nous nommons cela une « incompatibilité biochimique », et une telle réaction de son système immunitaire démontre sans l'ombre d'un doute...

- Peu importe, docteur. Tout ce que je veux savoir, c'est si oui ou non il peut être expédier au front.

- Mis à part un taux cardiaque un peu plus élevé que la normale, je ne vois pas ce qui l'empêcherait d'aller se battre. Je dois cependant vous avertir de ménager les doses d'adrénaline artificielle, ça risquerait de le tuer.

- Bah ça, pourquoi pensez-vous qu'on recrute sur le tas ? Le Conseil ne serait pas content si UNN arrêtait de montrer des valeureux soldats qui se sacrifient pour l'humanité. C'est bon pour l'image.

Probablement étendu sur le même lit qu'auparavant, Decker était conscient à nouveau, conscient qu'à quelques pas de lui deux individus comptaient l'envoyer à sa mort, et que du moment qu'il avait le temps d'agiter le petit drapeau des confeds avant de crever, personne ne se formaliserait de sa disparition. Non, plus personne ne se soucierait de prendre des nouvelles de lui désormais. Je peux déduire que votre soeur cadette est morte dans la destruction de Chau Sara. La phrase continuait de résonner dans sa tête, alimentant sans doute la massue qui continuait de lui marteler le crâne. Il avait la gorge desséchée, tous ses muscles étaient ankylosés et l'ancien détenu avait l'impression de mariner dans sa propre sueur. Sentant la rage le gagner à nouveau, Decker ouvrit un oeil, et fut soulagé de constater qu'il n'y avait plus personne autour de lui, exception faite du docteur et du militaire qui regardaient divers papiers. Avec le lit, une armoire métallique faisait office de mobilier de la pièce minuscule.

- Au diable son état de santé, railla soudainement le militaire qui semblait en avoir assez des rapports médicaux. Réveillez-le que je puisse enfin foutre le camp!

L'officier médical hésita un instant, puis acquiesça en se dirigeant vers le patient alité. Sortant une fiole de l'une de ses poches, il s'approcha du lit, et le patient en question lui expédia brusquement son pied dans l'estomac, le projetant contre le confed qui n'eut pas le temps de réagir. Decker sauta du lit l'instant suivant et les assomma tous deux d'un direct bien placé. L'homme enjamba derechef les corps inanimés avant d'ouvrir la porte de l'armoire. Quelqu'un l'avait dévêtu de la tête aux pieds en ne lui laissant que ses sous-vêtements, et Decker espéra que le placard contiendrait quelque chose À sa grande déception, il ne découvrit qu'un seul vêtement plutôt quelconque : une unique combinaison deux-pièces de style martial reposait sur les supports, accompagnée des indispensables chaussures assorties. Il enfila l'habit grisâtre, qui se révéla un rien trop serré, mais n'essaya même pas de mettre les chaussures. Decker préféra zieuter vers le militaire étendu. Il s'agenouilla rapidement près de lui, le dépouilla de ses souliers et, pourquoi pas, de la cinquantaine de crédits qui reposaient dans son portefeuille, puis sorti de la pièce à pas vifs. Évitant les élévateurs, l'ancien détenu dévala le premier escalier venu, puis se rua hors de l'hôpital.

Au dehors, la première chose qui s'imposa à ses yeux fut que l'habituel trafic aérien avait fait place à deux gargantuesques croiseurs de classe Béhémoth qui s'élevaient lentement mais sûrement vers les limites de l'atmosphère, entourés d'un essaim de vaisseaux de moindre importance. Le ciel grisâtre et le vent frais auraient pu lui faire regretter de ne pas être mieux habillé, mais Decker ne s'en soucia point, tant il était davantage préoccupé par une unique pensée qui venait de revenir à la charge. Le visage de Marielle lui revint à l'esprit... et alors que Patrick s'engageait sur une artère qui enjambait une large autoroute, il s'arrêta soudainement, s'adossa à un lampadaire couvert de graffitis et se laissa glisser sur le sol de néométal. Se moquant comme sur la Vieille Terre de la vue qu'il offrait aux gens, Decker laissa échapper une larme. Durant toute sa vie, une seule personne ne s'était que trop donnée pour lui alors qu'il n'avait eu de cesse de tout foutre en l'air en s'oubliant dans les bars et les drogues. Je peux déduire que votre soeur cadette est morte dans la destruction de Chau Sara. Pour la première fois de sa vie, aussi loin qu'il pouvait se le rappeler, Patrick éclata en sanglots. L'innocence du ton sur laquelle la femme du bar avait prononcée la phrase lui donna envi de lui broyer le crâne. Son unique lumière dans son monde de ténèbres venait de périr, sûrement sans qu'elle n'ait le temps de réaliser ce qui se passait. Je suis seul... l'autre folle avait raison. Je n'ai plus personne dans tout Kropulu! C'est ma faute! Elle est tombée à bout de force parce qu'elle me donnait tout son temps pour me sortir de la merde qu'étais ma vie... sauf que je n'ai jamais voulu en sortir. Et elle est... elle est morte parce qu'elle est partie refaire sa propre vie. Elle est morte, et je suis le seul qui peut seulement s'en soucier...

- Faux, déclara soudainement une voix un peu trop vive. Bien des gens voudraient s'en préoccuper, mais votre soeur est morte en même temps que des millions d'autres, donc sa simple personne est trop insignifiante pour faire pencher la balance. Les gens n'ont pas le temps de pleurer autant de personnes, alors ils ne s'en formalisent pas et vivent leurs vies. Vous savez que les passants ont peur de vous ? Ils pensent que vous n'êtes qu'un dérangé qui pourrait leur sauter dessus, et... eh ! mon crâne est beaucoup trop délicat pour vos immenses mains...

- Ta gueule ! Ta gueule, TA GUEULE !

Decker se redressa d'un bond, saisit la femme du bar par la gorge et la fixa avec une telle rage dans le regard que sa victime pâlit. La plupart des passants sursautèrent et s'enfuirent en toute hâte, mais certains hésitèrent avant de s'approcher en douceur.

- T'énerves pas, bro, lança l'un d'eux. Elle ne te veut pas de mal.

Retenant son propre souffle, Decker se tint roide, regardant tour à tour la femme qui commençait à manquer d'oxygène et les passants qui le suppliaient de se calmer. Brusquement, il lâcha prise en haletant profondément. Il se prit la tête de ses mains, et pleura de plus belle en dérivant vers la rambarde de l'artère, en dessous de laquelle d'innombrables véhicules passaient à grande vitesse. Decker grimpa dessus, fixa des yeux les cuirassés qui s'engouffraient dans la couche nuageuse, et se prit à désirer de monter les rejoindre, juste un moment, qu'il puisse trouver le meurtrier, rire de sa gueule, puis lui balancer un légendaire Yamato à la figure. C'est à cet instant qu'il réalisa qu'un détail crucial lui avait échappé :

- Qui a fait ça ? demanda-t-il au hasard en se retournant vers le petit attroupement. Qui a assassiné ma soeur ?

Quelqu'un marmonna quelque chose qui fut rapidement étouffé par le ronronnement d'une procession d'hoverbikes Vultures qui venait de s'engager sur l'artère et fonçait désormais dans leur direction. Erreur, réalisa l'homme. Dans sa direction. Le véhicule de tête cracha un projectile qui fendit l'air avant d'exploser au dessus du petit attroupement, qui se dispersa en hurlant. Toujours perché sur la rambarde, par pur réflexe, Decker eut un mouvement de recul en voulant se protéger de l'explosion, et tomba dans le vide.

Il lâcha un cri de surprise en tentant de s'agripper, mais ne parvint qu'à s'agiter inutilement en poursuivant sa chute... qui se termina brusquement sur une antenne parabolique surmontant un camion de taille respectable. La douleur le foudroya telle une décharge de foudre, à tel point que l'ancien détenu ne réalisa même pas que le véhicule dérapa un moment avant de changer rapidement de voie, sans doute pour emprunter la prochaine sortie qui se rapprochait à vive allure. Imbécile ! se cria-t-il à lui-même en se redressant péniblement. Des étoiles dansaient toujours devant ses yeux tandis que la douleur lui déchirait encore la colonne vertébrale, mais Decker parvint à se dégager des débris de métal écrasé. Esquissant une grimace supplémentaire, l'homme s'agrippa néanmoins à la base de l'antenne mais se figea lorsque, derrière le camion qui le transportait à son insu, l'escouade de Vultures se jeta du pont pour descendre sur l'autoroute, planant à grande vitesse au-dessus des autres voitures qui s'éparpillèrent en tout sens.

Les engins militaires gagnèrent rapidement du terrain, et Decker eut un haut-le-coeur en reconnaissant le colonel de l'hôpital sur la moto de tête. Une nouvelle grenade fendit l'air et vint exploser à quelques mètres sur la gauche du camion sur roues, qui dérapa de plus belle. Le véhicule tangua soudainement sur la droite et s'engagea sans ralentir sur la petite voie qui remontait abruptement pour sortir de l'autoroute. Il roula encore un instant, puis camion ralentit soudainement. Il tourna pour s'engager dans un vaste stationnement débordant de voitures diverses et fonça vers une porte de garage qui bordait le mur d'une tour tellement haute qu'elle masquait le soleil. Decker leva le regard... et à la vue du trio d'immenses lettres suspendues sur les hauteurs de l'immeuble, un rictus marqua son visage couvert de poussière. UNN. L'Universal News Network... Les méchants confédérés tirent en pleine rue sur un véhicule conduit par les bons reporters qui ne veulent qu'informer la population des méfaits des militaires, s'imagina l'homme en revoyant la journaliste de la veille qui annoncerait probablement les prochaines nouvelles. La porte de garage coulissa dans un sifflement hydraulique, et le camion de presse s'aventura un instant dans le stationnement intérieur avant de trouver un espace libre. Il s'y arrêta en même temps que le flot d'adrénaline de Decker, qui déserta si brusquement que l'homme mit quelques secondes pour complètement réaliser tout ce qui venait de se passer. La prochaine fois, je ne lui volerai pas ses chaussures à ce foutu colonel...

Plusieurs bruits de pas précipités retentirent alors dans le vaste stationnement, au moment où l'une des portière du camion s'ouvrit, laissant sortir une femme tremblante. Rapidement mais furtivement, Decker se laissa glisser du toit sur le côté opposé, se dissimula derrière une colonne de pierre et attendit quelques instants. Tendant l'oreille, il prêta un moment attention à la conversation animée qui éclata à ce moment :

- Ils t'ont tiré dessus ? explosa une voix d'homme, grave et ferme. Ils t'ont réellement tirés dessus! Regarde-moi ça! L'antenne est fichue et la carrosserie est noircie... Et toi, est-ce que sa va ?

- Je vais bien... répondit une voix féminine, sans conteste la femme au volant. J'étais à trois minutes d'ici lorsqu'ils me sont tombés dessus... Je, non! je vais bien...

Decker risqua un regard, et vit qu'avec le premier homme en était venu un autre qui devait faire office d'infirmier. Ce dernier avait commencé à examiner la journaliste. À ses côtés, l'autre homme afficha un regard décidé, puis déclara :

- J'espère que tu comprends de quoi il en retourne. Maintenant, tu vas peut-être enfin te décidée à abandonner cette histoire... Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur, Nadia!

- Je refuse que tu enterres cette info dans ton coffre-fort à potins! Qu'ils me pourchassent ainsi ne fait que prouver que ma source avait raison. Bon sang, M. Anderson! Si cette information est réellement vrai, alors ça signifie que le Conseil -ainsi que toute la Confédération- serait coupable de non pas un, même pas deux, mais de trois génocides ! C'est notre devoir de révéler la vérité !

- Notre devoir est avant tout de ne pas se faire descendre en pleine rue !

- Tu n'as qu'à me laisser aller ! Tu n'as pas hésité à balancer Michael à l'autre bout de la galaxie lorsque c'est devenu chaud pour lui. Ma source est toujours sur Antiga Prime. Je vais la rejoindre, on monte le reportage... ah lâchez-moi! Je vais bien je vous dis... et on révèle la plus grande trahison de tous les temps.

- Les choses ne sont plus pareilles... et puis du reste, Schlesinger couvre déjà tout ce qui se passe là-bas.

Il y eut une pause volatile, et un déclic se fit dans l'esprit de Decker. La voix de cette femme lui disait quelque chose... Cela lui revenait... Elle devait probablement être Nadia Lijemberg, qu'il avait entendue la veille aux infos.

- Jennifer n'a jamais eut le culot qu'il faut pour dire les choses en face... Bon sang Handy! Tu ne comprends rien! Je suis en contact avec ceux qui sont peut-être les derniers survivants de Chau Sara! Des survivants qui détiennent la preuve dont je t'ai parlée. Ils sont sur Antiga parce que le vieux vaisseau de leur université avait besoin de réparations.

Université... Chau Sara ? Université de Chau Sara ? Une flamme naquit en Decker, tellement intense qu'elle le poussa presque à se montrer pour presser l'éditeur en chef de laisser partir la journaliste.

Un nouvelle pause s'ensuivit, davantage gênée cette fois.

- Je... Anderson hésita. J'aurais pu t'envoyer avec la prochaine flotte de l'escadrille Delta qui part pour Antiga. C'est le bordel là-bas... On m'avait demandé si je souhaitais embarquer un reporter, mais avec les confeds à tes trousses, je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

- Handy !

- J'ai dit non ! Ça suffit, et je ne veux plus en entendre parler.

Et soudain, Decker su ce qu'il devait faire.

- Je peux vous avoir un vaisseau, lança-t-il en se dévoilant. Seulement si vous promettez de m'emmener avec vous.

Figés, les autres demeurèrent muets quelques instants.

- Pourquoi feriez-vous cela ? demanda Handy Anderson, et qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Patrick Decker, et ma soeur étudiait à Chau Sara. S'il y a un espoir, aussi mince soit-il, qu'elle soit vivante, je veux aller la chercher.

- C'est donc vous qui êtes tombé sur le toit ! s'écria Lijemberg en voyant l'état déplorable qu'affichait Decker. Mais pour qui vous prenez-vous pour débarquer comme ça ?... et comment pourriez-vous nous avoir un vaisseau ?

- Laissez-moi passer un appel.
- C'est de la folie ! s'exclama Keggrian. De la pure folie ! Voulez-vous bien me rappeler pourquoi j'ai accepté de vous embarquer ?

- Parce que je t'ai promis beaucoup d'argent, rétorqua Decker.

Le barman lui décocha un regard en biais.

- Argent que tu n'as pas ! Seigneur Dieu, j'ai presque envi de faire demi-tour et de rentrer à mon bar...

Sanglés dans les fauteuils du poste de pilotage d'un transport qui avait sans doute connu des jours meilleurs, les deux hommes regardaient, par la verrière, la flottille de petits vaisseaux qui allaient et venaient sur le fond noir et étoilé. Les mains sur les commandes, Keggrian donna une poussée d'accélération aux quatre tuyères de propulsion, qui ronronnèrent de façon guère rassurante. À cet instant, derrière les hommes, la porte du cockpit coulissa dans un petit sifflement hydraulique, et Nadia Lijemberg entra dans la pièce d'une démarche lente et calculée. À la vue de la journaliste qui, quelque heures plus tôt, l'avait fait sortir en douce de la tour UNN pour rejoindre le club de Keggrian, Decker réprima un sifflement. La jeune femme avait troqué le complet style féminin pour une tenue un peu plus adaptée aux circonstances, et Patrick se dit que la combinaison de cuir sombre ne devait pas figurer sur la liste des vêtements autorisés par l'éthique professionnelle. Ajustée de manière à ne pas laisser grand-chose à l'imagination, et additionnée à la longue chevelure brune qui ne manquerait pas de voler dans le vent, la combinaison sema quelques doutes dans l'esprit de Decker quant au passé de cette femme. Dommage pour la journaliste, son entrée fut quelque peu gâchée lorsque Keggrian tira brusquement sur les commandes pour éviter de percuter de plein fouet un chasseur Wraith qui passa en trombe devant eux, et le choc inattendu de la manoeuvre projeta Lijemberg contre le tableau de bord. Decker se détacha en deux temps trois mouvements et aida la jeune femme à se relever, tandis que le barman obèse déversa tout un chapelet d'injures à l'adresse du pilote de chasse qui disparaissait déjà au loin.

- Dans mon temps, brailla-t-il après s'être calmé quelque peu, on ne coupait pas les vénérables transports ! Non mais pour qui se prennent-ils ces imbéciles ?

L'ancien détenu aida Lijemberg à se sangler dans son propre fauteuil, et demeura debout entre les deux sièges, gardant son équilibre en s'appuyant aux appuis-tête. Decker suivi ensuite des yeux la traînée ionique laissée par le Wraith, ou l'Ombre, comme certains appelaient ces petits vaisseaux, et trouva la réponse à la question de Keggrian :

- Pour quelqu'un qui a assez de potes pour te faire ta fête si tu lui hurles après... fit-il remarquer en pointant l'horizon étoilé.

Un lourd silence s'ensuivit, tandis que le trio découvrit l'armada de croiseurs Béhémoths et Léviathans qui profilait au loin.

- C'est ce que je voulais vous dire, lança soudainement Lijemberg. Anderson a reçu l'info peu avant que nous partions. Antiga Prime est tombée aux mains des Fils de Khoral, et le Conseil a décidé d'envoyer une énorme flotte pour assiéger la planète.
À peine eut-elle terminée sa phrase qu'une série d'éclairs illumina soudainement les navires confédérés, et l'armada toute entière plongea dans l'hyperespace.

- Leur présence va nous donner un coup de main, commenta la journaliste. Pour ce que j'en sait, il parait que sa chauffe beaucoup là-bas.

- Alors suivons-les et mêlons-nous à eux lorsqu'ils approcheront de la planète, aboya Keggrian. Avec un minimum de chance, nous aurons un couloir d'approche tout dégagé pour descendre à la surface. À propos, j'espère que vous savez où est entreposé votre cargo.

- Le Kanata est un vieux croiseur Léviathan, recyclé en vaisseau universitaire bourré de laboratoires. Et non, je n'ai pas la moindre idée de sa position exacte, mais j'ai la fréquence d'appel pour contacter l'équipage dès que nous serons sur place.

- Et qu'est-ce que vous faites des Zergs ? demanda Decker. UNN a raconté que les Fils de Khoral se sont alliés à eux pour renverser les confeds. Si on arrive au milieu de la flotte, on risque autant de se faire descendre par les grands vaisseaux que par les bestioles.

- Ça, lâcha Lijemberg avec dégoût, c'est le genre de reportage qui nous est imposé. En vérité, il serait plus vraisemblable de penser qu'il s'agit d'un coup de propagande.

Keggrian abandonna son masque de retraité fatigué une fraction de seconde, et afficha un air espiègle en déclarant :

- S'il y a de la merde au sol, j'ai de quoi les accueillir dans la soute. Après tout, je n'ai pas été marine et pilote de chasse pour rien... et Decker a un sacré punch... ajouta-t-il avec un rire mauvais.

- Je me suis déjà excusé pour le nez, lâcha machinalement l'ancien détenu. Et... je ne pense pas être très utile s'il y a un combat rangé.

- Comment cela ? demanda le pilote, perplexe.

- Je ne sais pas me servir d'une arme à feu, avoua le colosse.

Par pur réflexe, Keggrian leva les yeux vers le rétroviseur inexistant, sans doute pour dévisager Decker, et refoula un éclat de rire.

- Toi, tu ne sais pas te servir d'une arme ! Et je t'ai gardé comme portier pendant deux ans ! Voyons, Deck, quelqu'un de ta constitution doit savoir se servir d'un bon vieux Gauss multi-options automatique !

- Peu importe, trancha Lijemberg. C'est pour quand le passage en hyperdrive ?

Toujours hilare, Keggrian baissa les yeux sur sa console.

- Maintenant, accrochez-vous !

Il pressa un levier et, après une longue plainte des moteurs, le transport s'ébranla avant de se catapulter dans la noirceur de l'espace. Keggrian patienta un moment, puis se déboucla de son siège après avoir vérifié que le pilote automatique fonctionnait à plein rendement, et se tourna finalement vers la journaliste.

- Milady, nous avons quitté Tarsonis bien précipitamment. Maintenant que nous avons un peu de temps, laissez-moi le privilège de vous faire faire le tour de mon vaisseau. Decker, il y a une douche dans les quartiers privés. Et ménage l'eau, la réserve aurait bien besoin d'être remplie.

La porte du cockpit donnait sur ce qui avait été une vaste aire de chargement, mais qui avait été transformée en confortable salon aménagé par le propriétaire du petit vaisseau. Sur le côté, des cloisons rajoutées et grossièrement soudées fermaient deux chambres, tandis qu'une porte supplémentaire, dans le fond de la pièce, donnait sur ce qui restait de la soute. Et tandis que le barman obèse, calé dans un fauteuil, offrait un verre à une journaliste incertaine, Decker émergea de l'une des chambres, se sentant frais et dispo pour la première fois depuis un bon moment. L'ancien détenu avait troqué la combinaison grise, de même que les chaussures volées au colonel, pour une tenue un rien trop similaire mais mieux ajustée à sa taille, tenue sans doute laissée là par un ancien garde du corps embauché par le barman. Une vieille bouteille de gel trouvée dans la pharmacie lui avait permit d'arranger sa courte chevelure brune en brosse ébouriffée, et à la vue de la bouteille d'alcool laissée sur la table basse, Decker s'avança et s'en empara vivement. Il la porta à ses lèvres, et fit couler le liquide sombre à grands traits dans sa gorge qui n'avait plus goûtée quelque chose de ce genre depuis trop longtemps.

- Là je reconnais le portier incassable qui a tiré dehors je ne sais combien d'imbéciles mauvais payeurs... lança Keggrian en ricanant.
Decker reposa la bouteille en se laissant tomber dans le dernier fauteuil inoccupé.

- Si vous saviez ce qu'ils nous faisaient boire en prison, lança-t-il. Même s'ils n'ont que rarement essayé de me forcer à faire quelque chose, je plains les autres qui y sont toujours...

- J'ai déjà fait un reportage sur les conditions d'incarcération, expliqua Lijemberg. Excepté que la colonne a été tellement censurée par l'édition qu'il n'en est resté que quelques lignes...

Keggrian les considéra tous deux un instant, puis déposa son verre en se levant de son fauteuil. Il traversa le salon et disparu dans la soute sans dire un mot. Profitant de l'absence de son ancien patron, Decker porta son regard vers la journaliste, et déclara :

- Je dois vous remercier de m'avoir sorti de la tour UNN. J'imagine que vous avez comprise maintenant que c'est moi que les militaires pourchassaient lorsqu'ils ont tiré sur votre camion.

Lijemberg le dévisagea un instant, puis avoua nonchalamment :

- Oui, mais ce n'était pas mon baptême du feu.

Intrigué, Decker voulu l'interroger davantage, mais Keggrian ressorti de la soute à ce moment là, visiblement essoufflé.

- Deck, lança-t-il en haletant. Viens donc m'aider un peu.

Patrick hésita un instant, puis se leva à son tour et rejoignit le barman, qui venait de disparaître à nouveau par la porte de la soute. Plutôt minuscule et poussiéreuse, l'aire de chargement était plongée dans une semi obscurité. Le peu de lumière qui émanait des plaques luminescentes ne permettait pas d'apercevoir grand-chose, sinon un unique caisson de bois dans lequel un antique téléviseur à écran large aurait certainement pu tenir sans être à l'étroit. Collée sur l'un des côtés, une large étiquette portant la mention « Corps des Marines, Escadrille Delta », luisait sous l'éclairage.

- Ce n'est quand même pas ton vieux matériel ! s'alarma Decker.

- Si, rétorqua le barman. Et dis-toi bien que ce qui a dans cette caisse est moins vieux que toi. Allez, aide-moi ! rajouta-t-il en tentant péniblement de soulever un côté de l'imposante caisse. L'ancien détenu s'exécuta, et les deux hommes emmenèrent le contenant dans le salon. Une fois le fardeau déposé, Keggrian haleta quelques instants, puis ouvrit le caisson d'un geste vif.

- Ça fait longtemps que je ne rentre plus dedans, déclara-t-il en dévoilant l'imposante armure qui reposait sur plusieurs couches de mousse, mais je pense que ça te seras utile là où nous allons.

Lijemberg s'approcha pour mieux voir, tandis que Decker réprima une mine dédaigneuse.

- Keg, j'ai foutu le camp pour ne pas être envoyé dans les Marines !

- Tu sera sans doute un peu à l'étroit, car tu es plus grand et plus lourd que je l'étais, affirma le barman en ignorant la dernière réplique de Decker. Mais elle devrait faire l'affaire.

Keggrian s'empara de la moitié supérieure de son ancienne armure, et la fourra dans les bras de Decker.

- Keg ! protesta ce dernier.

- C'est peut-être contre vos convictions, lança Lijemberg en prenant Decker par le bras, mais si ça peut nous sauver la vie au sol, je pense que ça vaut le sacrifice.

L'ancien détenu la dévisagea un instant, puis acquiesça.

- Bon, très bien.

L'acceptation de Decker fut mise à rude épreuve durant l'heure qui suivit, à mesure qu'il tentait désespérément de se mouvoir, à travers l'aire de détente, vêtu de l'armure complète qui devait rajouter un bon trente centimètres à sa taille, en plus de l'alourdir démentiellement. Alors qu'il tombait face contre sol pour la énième fois sous l'hilarité de Keggrian et l'amusement retenu de la journaliste, Decker fut empreint du désir irrésistible d'expédier à nouveau son punch au visage du barman.
Encore faudrait-il qu'il puisse se relever de là.

Je voudrais bien le voir se promener là-dedans, lui, aussi obèse soit-il. C'est moi qui passerait un bon moment en buvant quelque chose de fort !

Après une série de tentatives infructueuses pour se remettre sur pieds, Decker commença sérieusement à marmonner pour lui-même. Aussi Lijemberg, sentant le danger potentiel d'un débordement de colère à l'encontre du pilote qui, selon elle, buvait un rien trop, s'empressa d'aider l'ancien détenu à se redresser.

- C'est rien, affirma aussitôt Keggrian sans bouger de son fauteuil. La première fois c'est toujours ainsi que ça se passe. Nous n'arriverons pas avant un bon moment, et d'ici là, tu sauras te déplacer avec ça sur le dos comme un rien.

Et en effet la prédiction se révéla à peu près véritable. À mesure que le temps s'écoula, Decker réussit petit à petit à ne plus perdre l'équilibre.
Mais même s'il doutait d'être d'une grande efficacité en cas d'affrontement, au moins parvenait-il désormais à marcher et bouger à peu près en tous sens sans chuter comme le premier débutant venu. C'est alors que Keggrian, qui fouillait dans la mousse qui emplissait le caisson, se redressa en tenant fermement la crosse d'une arme presque trop grande pour lui.

- Voici, amorça-t-il fièrement, ce qui m'a sauvé la vie je ne sais combien de fois pendant ma carrière militaire. Le fusil d'assaut C-14 Gauss Impaler. Tiens, Deck, prend le donc.

Il tendit l'arme imposante à l'homme qui, toujours vêtu de l'armure à la peinture quelque peu déteinte, hésita un instant avant de faire un pas en avant pour s'en saisir. L'arme en main, Decker la soupesa, mira quelques cibles imaginaires et s'imagina en train de dégommer ceux qui se mettraient entre lui et sa soeur...

- Elle n'est pas chargée, mais je m'occuperai de ce détail lorsque nous serons arrivés. Et si tu ne sais réellement pas t'en servir, tu apprendras sur le tas, comme moi...

- Dans le pire des cas, avança Lijemberg en dévisageant Decker, dont seule la tête émergeait de la combinaison de combat, je pourrai toujours te montrer comment ça fonctionne.

L'ancien détenu lui rendit son regard, de plus en plus incertain quant au passé de cette femme.

Le voyage s'acheva un bon moment plus tard et, tandis que Decker somnolait dans l'une des chambres, Keggrian se rua dans le cockpit lorsque résonna une alarme stridente à travers le petit vaisseau.

- Nous y voilà ! beugla-t-il au hasard.

Le pilote tira délicatement l'un des leviers du tableau de bord, et le transport tout entier vibra de plus belle lorsqu'il regagna l'espace normal. Lâchant un cri de surprise, Keggrian poussa aussitôt les commandes et le vaisseau plongea si rapidement que le pilote se sentit glisser de son siège.

- Qu'est-ce qui se passe ? s'écria Lijemberg en entrant dans la pièce.

- Regardez par vous-même !

La journaliste se sangla dans le deuxième fauteuil au moment où Decker entra à son tour. S'agrippant au dossier de Nadia, l'ancien détenu porta son regard vers la verrière, et retint une expression à la vue du spectacle qui s'offrait à ses yeux. D'innombrables croiseurs Béhémoths et Léviathans occupaient la moindre parcelle d'espace disponible dans les environs, et tandis que les tirs énergétiques fusaient en tous sens, au moins plusieurs centaines de Wraiths tourbillonnaient en se chassant mutuellement au travers de la nuée de vaisseaux amiraux. Au loin, de l'autre côté des armadas titanesques, Antiga Prime profilait tranquillement, inconsciente que son destin serait scellé par les heures à venir.

- Et c'est sur cette planète qu'il faut aller se poser ! hurla Keggrian. Vous êtes malades !
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